A 22 ans, Mohamed Camara incarne l’avenir de l’AS Monaco. Un club que le Malien désirait plus que tout rejoindre malgré les nombreuses sollicitations dont il a fait l’objet cet été.
Par sa fraîcheur et son talent balle au pied, le Malien de 22 ans s’est déjà imposé dans l’effectif de Philippe Clement. Lorsqu’il a appris l’intérêt de l’AS Monaco cet été, l’ancien pensionnaire du RB Salzbourg n’a pas hésité un seul instant. Sa mission en Principauté ? « Faire tout mon possible pour rendre heureux les supporters. » Avenant, sincère et touchant, il a retracé son parcours pendant 45 minutes et délivré des messages puissants sans se départir de son sourire.
SES PREMIERS PAS À MONACO
Saviez-vous que des supporters, au début de l’été, avaient ciblé votre profil pour remplacer Aurélien Tchouameni ?
J’ai su que des fans avaient demandé ma venue. Ça m’a fait plaisir. C’était une source de motivation puisque signer à Monaco était ma volonté. C’est l’un des plus grands clubs français.
La comparaison est-elle lourde avec le néo-Madrilène ?
Non. Je ne dois pas me comparer à Tchouameni. C’est un grand joueur, il a fait beaucoup de belles choses avec l’AS Monaco, mais chacun sa carrière. Je ferai tout mon possible pour aider le club. On va vivre de très belles choses ensemble.
Quel accueil avez-vous reçu ?
Mes coéquipiers, le staff et les dirigeants de l’AS Monaco ont été très accueillants. Je profite de cet entretien pour les remercier. Ils ont, chacun à leur manière, facilité mon intégration.
C’est important, l’unité dans un groupe ?
Elle est à la base de tout. Pour gagner, il faut une combinaison de qualités. Mais si la solidarité n’en fait pas partie, on ne pourra jamais aller loin. A Salzbourg, on avait une équipe très jeune, motivée, soudée. On débutait chaque match avec l’envie d’aider ses coéquipiers. J’ai vu la même chose à Monaco. On ira loin ensemble.
Les supporters, aussi, vous ont déjà adopté. Ils ont chanté à votre gloire après la victoire contre Lyon !
Ça me touche énormément. (Il porte sa main vers le cœur) La façon dont ils m’aiment et me poussent… C’est trop pour moi. L’émotion est forte. Je ne peux que les remercier. Je ferai tout mon possible pour les rendre heureux.
Les premiers contacts avec Monaco remontent au début de l’été. Comment avez-vous vécu les tractations ?
Ce n’était pas facile. Plusieurs clubs étaient intéressés, mais je ne voulais que Monaco. J’ai rapidement dit à mon agent (Raquel Rosa) de ne pas discuter avec les autres équipes et de se concentrer sur l’ASM.
Pourquoi avoir tout misé sur Monaco ?
Parce que c’est l’endroit idéal pour ma progression. Le club est connu au Mali. De grands joueurs sont passés par Monaco, des Maliens aussi comme Almamy Touré (formé à l’AS Monaco et récent vainqueur de l’Europa League avec l’Eintracht Francfort), Adama Noss Traoré…
Votre préparation estivale a été tronquée. Était-ce votre décision ?
Oui. En concertation avec le RB Salzbourg, nous avons décidé de ne pas prendre de risques jusqu’à mon transfert. Je n’ai joué aucun match cet été, le dernier datait de début juin avec la sélection malienne (victoire 3-1 au Soudan du Sud avec un but de Mohamed Camara), mais je m’entraînais fort. Je ne suis pas encore au top de ma forme. Cela ne saurait tarder.
Première titularisation contre le Paris Saint-Germain, et vous terminez « homme du match ». Racontez-nous cette soirée.
(Il rit) Paris est un grand club. Leo Messi, Kylian Mbappé, Neymar… Lorsque tu joues contre des grands, tu dois montrer que tu l’es aussi. C’est ma mentalité. Tu dois te faire respecter. Je n’ai aucun complexe devant les trois que j’ai nommés. La peur est la première limite d’un être humain. Il s’agissait de ma première titularisation. Toute mon aventure à l’AS Monaco dépendait de ce choc. Il fallait faire une bonne prestation. J’ai aidé autant que possible mon équipe. On pouvait gagner, mais on a quand même ramené un point du Parc des Princes.
Philippe Clement échange souvent avec vous durant les matches. Pourquoi les entraîneurs vous font confiance et vous voient comme un relais ?
C’est une grande responsabilité que l’on me confère. Elle est naturelle chez moi. J’ai été capitaine de la sélection nationale U17 avec qui j’ai gagné la CAN. Pareil avec les U20. Quand on jouait dans les quartiers, j’étais déjà capitaine, je parlais tout le temps avec mes coéquipiers. A Salzbourg, l’entraîneur m’a dit : « Mo, même si tu ne portes pas le brassard, tu es notre capitaine. » (Emu) Ça m’a donné encore plus envie de dépasser mes limites.
C’est le plus beau compliment qu’on vous ait fait ?
Certainement. C’était énorme pour moi. Je suis encore touché, aujourd’hui. Je parle positivement avec mes coéquipiers, je les place sur le terrain. C’est mon rôle. Je suis au bon endroit pour bien diriger l’équipe. Parfois, c’est difficile, on est à fleur de peau dans les moments couperets. Mais je comprends la frustration. Il faut rester positif et encourager, afin que la prochaine passe ou le prochain tir soit réussi.
SES DÉBUTS
Comment avez-vous découvert le football ?
Tous les jeunes Africains rêvent de faire carrière. Avec mes amis, on a commencé par jouer dans la rue, banalement. Mon père ne voulait pas me voir avec un ballon. Il m’a inscrit à l’école coranique. Je me cachais pour jouer, je prenais une douche chez un ami pour effacer les preuves et je rentrais à la maison. Secrètement, je pensais à l’Académie Jean-Marc Guillou.
Vous avez une histoire singulière avec ce centre.
Mon premier test n’a pas été concluant. Je n’ai rien dit à personne, et j’ai continué à jouer avec mon club. Le second s’est mieux passé sauf que mon père l’a appris. Il m’a envoyé chez ma grande sœur, très loin de Bamako, pendant deux mois. Il connaissait la réalité de l’Afrique et pensait qu’on me jetait de la poudre aux yeux. Je respecte mon père, c’est lui qui décide. Je l’ai écouté. A mon retour, l’Académie avait choisi quelqu’un d’autre. On m’a dirigé vers un centre de formation, le Guidars FC, en me promettant de garder un œil sur mes performances. Un intendant, « Tonton Guinou », m’a pris en charge. Je ne l’oublierai jamais. Il me donnait de l’argent chaque semaine pour les transports. Jusqu’à ce jour de 2016 et un match à l’Académie. Le patron m’a vu et m’a recruté. Je n’étais même pas content.
Pourquoi ?
Parce que je savais qu’une bataille allait s’engager à la maison. J’ai pris les devants en prévenant mes grands-frères et en provoquant une réunion familiale. Je n’avais que 16 ans. C’était tellement dur. Nous avons fait corps devant mon père et il m’a donné son aval. Un an et demi plus tard, je signais au RB Salzbourg.
Comment a réagi votre père ?
Il n’avait pas bien compris. Je lui ai dit que je partais en Europe. « Mais qu’est-ce que tu vas faire là-bas ? » – « Je vais signer un contrat professionnel » – « Ah ok, on verra. » Il ne me croyait pas trop. Il ne connaît pas le football, donc mes grands-frères lui ont expliqué la situation et il m’a téléphoné. « Mon fils, tu es bien arrivé ? Ce n’est pas trop dur ? Bon courage, sache que tu me rends vraiment fier. »
Et votre adaptation en Autriche ?
Elle a été facilitée par la présence de joueurs maliens comme Sékou Koita, Amadou Haïdara, Diadie Samassékou et Ousmane Diakité. La langue était une barrière, je ne comprenais rien à l’allemand. Les premiers temps, j’ai été prêté à Liefering (club de la galaxie Red Bull), puis à Hartberg. J’ai fait seulement 3 mois et demi là-bas à cause d’une blessure au genou. Salzbourg m’a intégré à son groupe professionnel à l’été 2019, après la Coupe du monde U20 en Pologne (élimination en quarts contre l’Italie malgré un but de Mohamed Camara).
LA RÉVÉLATION
On vous parle tout le temps de ce match contre le Bayern Münich, durant lequel vous avez explosé aux yeux du monde. Quel souvenir conservez-vous ?
Le Bayern Munich ! (Il répète en levant les bras) Rien que le nom de l’équipe est une source de motivation. La préparation de la rencontre n’a pas été une formalité. Dans la semaine, je parlais du match dans le vestiaire. Mes coéquipiers pensaient qu’on allait perdre. Je ne pouvais pas entendre ça. OK, le Bayern est un grand club. Mais c’était un huitième de finale de Ligue des Champions… La chance d’une vie ! Je devais montrer l’exemple. J’ai demandé l’aide d’un traducteur et je leur ai dit : « Mettez-vous dans la tête qu’on va les battre. Rappelez-vous toutes les grandes équipes, le Real Madrid, Barcelone, Liverpool, l’Ajax… On les a rencontrées en amical chez nous, en Autriche, et on les a battues. On écrit l’histoire de notre club en Coupe d’Europe, c’est une chance qu’on doit saisir. » C’était la première partie du discours de motivation.
Et la seconde ?
C’était dans le vestiaire avant le match. Je ressentais l’angoisse de mes coéquipiers. « N’ayons pas peur de la mort si c’est pour servir une bonne cause. La nôtre est nationale. On ne joue pas seulement pour Salzbourg, on joue pour l’Autriche. Tout le monde connaît la rivalité entre ce pays et l’Allemagne. Ce soir, on ne va pas se laisser faire. Ayez confiance en vous. » Puis j’ai pointé du doigt chaque joueur en disant : « Toi, tu vas nous faire gagner. Toi, aussi… » Premier duel sur le terrain, je m’impose. Nos supporters étaient en feu. Alors j’ai pensé que le Bayern aurait des problèmes ! (Il rit)
Vous êtes l’homme du match.
Je n’y croyais pas lorsqu’on me l’a annoncé. J’avais du mal à digérer l’égalisation bavaroise à la 90ème minute, alors qu’on avait fourni tant d’efforts.
Qu’avez-vous fait du trophée ?
Je l’ai ramené au pays cet été. Les gens sont venus à la maison pour le voir, le tenir, se prendre en photo avec. C’était une fête. Moi, Mohamed Camara, Malien, j’avais été choisi alors que je jouais contre Robert Lewandowski, Kingsley Coman, Joshua Kimmich…
Des joueurs que vous admirez ?
Oui, surtout Joshua Kimmich. C’est un exemple. Il y a aussi N’Golo Kanté, à qui on me compare souvent pour notre endurance, et Mahamadou « Djila » Diarra (également passé par l’AS Monaco), Malien lui aussi et ancien capitaine du Real Madrid. Au pays, on me surnomme le nouveau Djila. (Il sourit fièrement) Je travaille sans relâche pour gagner autant de titres que ces joueurs.
SON CARACTÈRE
Avec N’Golo Kanté, vous partagez cette joie de vivre. D’où vient cette fraîcheur ?
Quand j’étais enfant, ma mère me répétait de ne jamais me laisser envahir par la colère, de sourire tout le temps. « Quand tu es en colère, frustré, les gens te fuient par peur », répétait-elle. Avant de nous quitter pour toujours, maman m’a dit : « La santé, c’est la gratitude. Ça ne s’achète pas. Si tu l’as, mon fils, tu dois être le plus heureux malgré les difficultés. » C’est le conseil le plus précieux qu’on m’a donné. A Salzbourg, je ne parlais pas un mot d’allemand mais le sourire était communicatif.
Sur la pelouse, vous êtes une autre personne : accrocheur, combatif… Cette dualité est étonnante.
Il y a Mo’ hors du foot : je suis très calme, je reste à la maison avec ma femme et mon bébé, je prie et je lis le Coran. C’est l’équilibre dont j’ai besoin pour devenir un grand joueur. Et puis il y a Mo’ sur le terrain : une bête qui ne se laisse pas faire. Je veux que mes adversaires respectent le club que je représente. On ne peut pas toujours gagner, mais il faut en avoir la volonté. Pour cela, l’équipe doit être unie, titulaires comme remplaçants. Sans mes coéquipiers, je ne suis pas grand-chose. Ils vont m’aider à progresser. En retour, je mettrai toutes mes qualités au service de l’équipe. Je me dévoue à faire briller ce blason.
Vous discutez beaucoup avec les arbitres.
Je ne connaissais pas les arbitres français. J’ai pris un carton jaune contre Nice pour avoir demandé à consulter le VAR. Maintenant, je sais comment leur parler. (Il rit)
Quelle est la signification de Tiémantiè, votre surnom ?
Cela veut dire « milieu de terrain ». Ce surnom remonte à mon passage à l’Académie. Je ne parlais pas français, seulement le bambara. Un entraîneur a demandé mon poste. Hamari Traoré, actuel capitaine du Stade Rennais, traduisait pour moi. J’ai répondu « Tiémantiè ». Hamari m’a dit : « A partir d’aujourd’hui, je vais t’appeler comme ça et, un jour, le monde connaîtra ce nom. » Au Mali, les gens me connaissent comme Tiémantiè. On me surnomme aussi Mo’, Momo… Sauf mon père, pour qui je reste Mohamed.
Le Mali n’a jamais participé à une phase finale de Coupe du monde. C’est le plus grand objectif de ta carrière ?
Oui. Si Dieu le veut, nous participerons à l’édition 2026. Beaucoup de jeunes Maliens ont cet objectif en tête. Une nouvelle génération émerge. On avait un pied au Qatar (défaite en barrages contre la Tunisie). C’est le football…
Que représenterait une qualification pour vos concitoyens ?
On ferait plaisir aux Maliens. Il faut avoir l’ambition d’écrire l’histoire. On ne sait pas ce que le destin nous réserve. Alors si nous avons l’occasion d’inscrire notre nom dans l’histoire de notre pays ou de notre club, faisons-le. Dans 50 ans, dans 100 ans, on se souviendra de nous. Et j’ai cette ambition en qualifiant le Mali avec mes coéquipiers pour la Coupe du monde 2026.