A chaque numéro, Code Sport Monaco vous propose de découvrir les athlètes de la Principauté sous un autre angle. Franck Oberdorff, licencié de la Société nautique de Monaco et para-athlète multicartes, s’est prêté à l’exercice du « Qui es-tu ? « .
Tes premiers sports ?
Dans ma jeunesse, je me cherchais un peu. Lorsque j’étais valide, j’ai fait du judo, de l’athlétisme, de l’équitation, du handball ou encore du basket, une pratique que j’ai poursuivie lorsque je me suis retrouvé dans un fauteuil roulant, il y a dix ans. J’évoluais au sein des Hornets du Cannet, un club situé près de chez moi. Avant de me tourner vers l’aviron, j’ai aussi essayé le triathlon. En 2022, j’ai pris part au half Ironman de Vichy.
Pourquoi l’aviron ?
Pendant la pandémie de Covid-19, je regardais des vidéos de différents sports et l’aviron, qui m’a toujours intrigué, en faisait partie. Par hasard, je me suis rendu à la Société nautique de Monaco (SNM) pour découvrir cette discipline. Le coup de foudre a été immédiat, que ce soit pour la discipline, les entraîneurs, les membres du bureau et les autres licenciés.
Tes premiers pas à la SNM ?
Je savais que ce club avait déjà accueilli des para-rameurs tels que Bernard Fasanelli et Julien Hardi. J’ai envoyé une demande par e-mail, à laquelle Daniel Fauché, l’entraîneur général de la SNM, a répondu positivement. Dans un premier temps, Bernard m’a initié à l’ergomètre. Lors de la troisième séance, Daniel l’a rejoint. Les exercices devenaient de plus en plus intensifs, comme s’ils cherchaient à m’évaluer. J’ai surpris un échange de regards entre eux et, plus tard, ils m’ont confié qu’ils avaient perçu un potentiel en moi. Daniel m’a demandé de venir m’entraîner plus souvent. Quand j’ai demandé à quelle fréquence, il a répondu : « Bah tous les jours ! » (Rires.)
Ton rapport au handicap ?
Je l’ai accepté assez rapidement grâce au sport. J’ai eu la chance de rencontrer un médecin-rééducateur très bienveillant, qui a compris dès le début que le sport occupait une grande place dans ma vie. Il m’accordait des autorisations de sortie pour aller aux entraînements de para-basket à condition de rentrer avant la fermeture du centre à 22 heures. Quand on est à l’hôpital, tout est conçu pour nous mettre à l’aise, mais la réalité est tout autre dès qu’on en sort. Ces bouts de papier m’ont permis de me confronter aux personnes vivant le handicap. En écoutant les histoires de ces hommes mariés et pères de famille, j’ai pris conscience que le handicap n’était pas la fin d’une vie, mais plutôt le début d’une nouvelle. Sur le plan sportif, j’ai ressenti des émotions que je n’aurais peut-être jamais connues comme valide. Cela peut paraître étonnant, mais certains para-sportifs de haut niveau affirment même qu’ils ont une meilleure vie en fauteuil qu’avant. Lors de mes interventions en milieu scolaire, je rappelle toujours que le handicap peut toucher n’importe qui, à n’importe quel moment, mais qu’il n’est en aucun cas un obstacle à l’épanouissement.

Ton premier souvenir ?
Le jour où je suis entré pour la première fois dans le vestiaire des Hornets. Un coéquipier paraplégique, qui est devenu un très bon copain, arrive avant moi : « Les gars, vous pouvez ranger vos jambes, s’il vous plaît ? » Les amputés avaient laissé leur prothèse au milieu du chemin, gênant le passage des joueurs en fauteuil. (Rires.) C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’on pouvait plaisanter avec le handicap. Une BD que je recommande vivement, Andy et Walid, traite de ce genre d’anecdotes.
Le meilleur ?
Un déplacement en Grèce pour la Coupe d’Europe de handibasket avec Marseille, qui connaissait alors des difficultés. On formait une équipe de copains. Imaginez une douzaine de mecs en fauteuil roulant dans un aéroport. La scène était assez cocasse ! (Rires.) Même si c’est plus frais, l’aviron m’a aussi offert de beaux moments, comme lorsque j’ai partagé une coque avec Julien Hardi lors des championnats nationaux de sprint. Quand Julien est arrivé à la SNM, Bernard l’avait pris sous son aile. Pour lui, m’accompagner était un retour des choses. Son geste m’a ému.
Et le pire ?
Une blessure à cheval a marqué un tournant dans ma vie. Je devais aller à l’armée pour effectuer mon service militaire et j’avais demandé à intégrer la gendarmerie dans l’optique de rejoindre la garde républicaine. J’avais réussi les tests mais au bout d’un mois et demi, j’ai contracté la salmonellose. Les médecins de l’hôpital militaire ont découvert l’état de mon pied et m’ont réformé. Je ressentais quelques douleurs, certes, mais je parvenais à les masquer. De retour dans la région, j’ai postulé à la police monégasque et j’ai essuyé un nouveau refus à cause de cette réforme pour raison physique. Deux coups durs d’affilée. C’est probablement pour ça que j’ai accepté plus facilement mon handicap. Je ne dis pas que tout est toujours rose, mais je refuse de me laisser abattre. Quand j’en ai ras le bol, je me change les idées en faisant du sport.
Le jour où tu as battu deux records du monde ?
En février dernier, moins d’un an après mes débuts, j’ai décroché deux titres de champion de France à l’ergomètre, dans l’ambiance survoltée du stade Charléty à Paris. Je savais que j’avais battu par la même occasion les records de France du 500 m et du 2 000 m dans ma catégorie. C’est en discutant avec Daniel que j’ai appris que j’étais aussi le nouveau détenteur de deux records du monde. En creusant un peu, on a découvert que j’avais explosé celui du 2 000 m de 22 secondes (7 minutes et 37 secondes). Ça n’a pas changé grand-chose pour moi. Ce n’était tellement pas une fin en soi que je n’ai même pas fait les démarches pour les homologuer.
Une future discipline ?
Non, je pense avoir trouvé mon équilibre avec l’aviron. Même une fois mes objectifs atteints, je continuerai probablement dans ce sport. L’accueil du club et la façon dont je suis traité sont des critères déterminants. Je m’entraîne avec les cadets et les juniors et ce sont les premiers à m’aider, que ce soit pour porter le bateau ou pour me pousser dans les montées. Au début, je m’entraînais en salle entre midi et deux, en même temps qu’un groupe d’anciens rameurs. Pour créer une dynamique de groupe et me motiver, ils ont décidé de suivre le même programme que moi. La bienveillance des membres de la SNM contribue vraiment à mon bien-être.
L’athlète qui t’a inspiré ?
Au Cannet, j’ai eu la chance de rencontrer Trevon Jenifer, un para-basketteur américain né sans membres inférieurs. On ne jouait pas au même niveau, mais il m’a accueilli à bras ouverts. C’est quelqu’un que j’apprécie et que j’admire beaucoup. A Paris, cet été, il a remporté sa troisième médaille d’or paralympique. Il a poursuivi des études en parallèle et travaille maintenant pour les services secrets américains. C’est un vrai modèle de persévérance.
Ton plus grand rêve ?
J’aimerais vraiment participer aux Jeux paralympiques de Los Angeles 2028 avec l’équipe de France. Ce ne sera pas facile, car Alexis Sanchez, le titulaire du poste, n’a que 26 ans et déjà une grande expérience internationale. Il faudra que je sois bien meilleur que lui pour le déloger. Je vais tout faire pour y arriver.
L’anecdote que tu n’as jamais révélée ?
J’ai eu une période ‘sport automobile’ entre 1992 et 2000, durant laquelle j’ai participé à un rallye dans l’arrière-pays niçois. Mon co-pilote ne pouvait pas faire les reconnaissances, donc un ami s’est proposé pour le remplacer au pied levé. Nous voilà partis dans ma 205 diesel. Il me dicte les notes et puis, dans la descente du Turini, plus rien. Au premier stop, je m’arrête. Il ouvre la portière et vomit. (Rires.) Il avait voulu rendre service, mais il n’a pas bien supporté les virages.
Propos recueillis par Jérémie Bernigole