Depuis qu’il a rejoint la Principauté à l’hiver 2021, les maillots à la diagonale se multiplient au Sénégal. « Une fierté », sourit l’international de 22 ans.
Le 16 septembre, Krépin Diatta a donné la victoire aux siens contre le Sturm Graz en Ligue Europa (1-0), en inscrivant son deuxième but sous les couleurs monégasques. Le lendemain, dans les entrailles du Stade Louis-II, il nous a accordé sa première interview depuis son arrivée en Principauté à l’hiver 2021. D’une expression remarquable – une aisance orale qui peut s’expliquer par l’éducation qu’il a reçue de son père, enseignant, qui l’a empêché d’arrêter les études trop tôt pour se consacrer au football -, l’international sénégalais a déroulé le fil de sa vie pendant quarante minutes : ses rêves d’enfant sur les terrains du Ziguinchor, ses saisons en Norvège et en Belgique, la place de l’AS Monaco dans son pays et son engagement en faveur de sa communauté…
Vous avez ouvert votre compteur but cette saison contre le Sturm Graz en Ligue Europa. Qu’est-ce que vous avez ressenti ?
Cela fait du bien de marquer. Un joueur offensif, par définition, veut toujours être décisif pour son équipe. En plus, je marque rarement de la tête. J’ai dû en mettre trois ou quatre.
Cette victoire peut-elle lancer votre saison et celle de l’AS Monaco ?
Tout à fait. La seule chose à faire, c’est de continuer à travailler. On finit toujours par récolter les fruits. Nous sommes conscients que notre début de saison n’est pas conforme aux attentes, mais on doit se battre.Vous disputez à nouveau une compétition continentale cette saison.
Vous rêviez de ces soirées européennes, petit, sur les terrains du Sénégal ?
Oui, comme tout jeune joueur qui aspire à devenir footballeur professionnel. Je regardais les matches européens à la télévision. Ce rêve m’animait. Aujourd’hui, Dieu merci, j’ai déjà eu la chance de jouer la Ligue des Champions et la Ligue Europa.
Vous avez grandi à Ziguinchor, une terre de football. Comment avez-vous découvert ce sport ?
Je suis tombé dedans à l’âge de huit ans, en intégrant une école de football. Pendant la récréation, un ami m’a dit que je jouais bien et m’a demandé de le rejoindre dans son équipe. Comme j’étais fils d’enseignant, ce fut un peu difficile de convaincre mon père, qui pensait avant tout aux études. Si je n’apprenais pas bien mes leçons, je n’avais pas l’autorisation d’aller à l’entraînement. Quand je lui ai annoncé mon intention de rejoindre cette école, il m’a répondu : « Cela ne marchera pas car tu devras abandonner tes études. Si c’est le cas, tu dois arrêter le football. » Je l’ai rassuré en lui disant que je parviendrai à combiner les deux. Mon ami m’a présenté à l’entraîneur et c’était parti. Deux mois après, j’étais capitaine de l’équipe.
Dans un article de Sport/Foot Magazine, votre grand-frère racontait que, bébé, vous pleuriez lorsque deux personnes jouaient au football car vous vouliez le ballon. Croyez-vous au destin ?
Oui, je le prends comme un signe. D’ailleurs, mon grand-frère m’a toujours dit qu’il aurait été très étonné que je ne fasse pas une carrière dans le football.
Vous ne vous voyiez pas fonctionnaire, comme le souhaitait votre père ?
Je n’étais pas mauvais à l’école, j’avais même de bons résultats. Mon père était content. Mais, au fond de moi, je savais que le football dominait. C’était ma passion.
Comment avez-vous fait pour le convaincre que le football était votre voie ?
J’ai arrêté pendant deux semaines pour le laisser se calmer. Je prenais mon sac, j’allais à l’école et, parfois, je passais au club sans qu’il ne le sache. On a fini par devenir champion régional du Ziguinchor, j’ai été élu meilleur joueur. Quand mon père m’a vu partir avec la sélection U17 du Sénégal, il a alors compris que cela devenait sérieux. Avant, il ne me regardait même pas jouer. Quand je suis revenu, on a parlé de mes performances.
Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?
(Il rejoue la discussion) « J’ai regardé ton match, c’était très intéressant. Tu joues bien. » – « Tu vois, je t’ai toujours dit que je voulais jouer au football, mais tu me parles tout le temps des études. » – « Ce n’est pas parce que je te dis que tu as un bon niveau que tu dois exclure l’école. Tu dois continuer les deux. » – « D’accord, mais sache que si je poursuis mes études, c’est à cause de toi. Ma passion, c’est le football. »
Et la suite ?
J’ai eu mon BFEM (le brevet de fin d’études moyennes), puis mon examen. Des centres de formation de Dakar m’ont contacté. J’ai demandé à mon père de me laisser partir, parce que je savais que je réussirais dans le football. Il m’a donné son accord à une seule condition : « Ne reviens pas en me disant que ça n’a pas marché pour telle ou telle raison. Si tu veux quelque chose, tu le fais à fond. »
Et comment a-t-il réagi lorsqu’il a appris votre transfert en Norvège ?
Il m’a félicité. Je me suis fait remarquer à la Coupe d’Afrique des Nations, où nous avions atteint la finale. Je me retrouve à signer mon premier contrat professionnel avec Sarpsborg 08. Quand je suis rentré au pays, j’ai averti mon père. Il m’a dit que ce n’était que le début. Pourtant, les deux premiers mois ont été très difficiles. On s’entraînait sous la neige, je ne pouvais pas contrôler le ballon tellement j’étais frigorifié. Les joueurs se moquaient de moi.
Vous avez pensé à arrêter ?
J’ai appelé mon père pour lui dire que je ne tiendrais pas à cause du froid : « Ce sont les aléas du football. Tu t’es battu pour devenir professionnel ? Alors accepte la difficulté, tu progresseras. » J’ai continué à travailler avec l’équipe réserve. Un jour, je marque un triplé en 45 minutes. Le directeur sportif m’a fait sortir à la mi-temps et m’a mis à disposition de l’équipe A. Le lendemain, j’étais titulaire avec les professionnels et j’ai été désigné homme du match. Je ne suis plus sorti de l’équipe. J’ai marqué huit buts et distribué huit passes décisives en 27 matches. On a même atteint la finale de la Coupe de Norvège.
De votre passage en Norvège est née une sincère amitié avec Tobias Heintz, un de vos coéquipiers.
(Il coupe) Tobias n’est pas un ami. C’est un frère. Je lui serai toujours reconnaissant. Ce n’est jamais facile d’arriver dans un club étranger, où tu ne connais pas l’histoire du vestiaire. Tobias m’a dit : « Si tu as besoin de quoi que ce soit, appelle moi. Je ferai le maximum. Tu peux me faire confiance. » Ça m’a touché. J’étais seul à l’hôtel, en pleine recherche de logement. Il m’a proposé de m’installer chez lui, en attendant. On sortait tout le temps ensemble, on allait jouer au bowling, il m’a fait découvrir des endroits et il invitait d’autres joueurs pour faciliter mon intégration. Je vais lui faire visiter le Sénégal très bientôt, peut-être cette année.
C’est ça, le football ? Faire des rencontres ?
Oui, le football est universel. Tu rencontres des gens, tu te fais des amis. C’est le charme de ce sport. Tu es obligé d’aller vers tes coéquipiers, d’apprendre à les connaître. En plus, je suis quelqu’un d’ouvert, j’aime partager ces moments, être entouré. Je veux toujours avoir tout le monde vers moi.
Vous signez ensuite au Club Bruges. Là-bas, vous avez évolué avec succès à plusieurs postes. Comment faites-vous pour satisfaire les attentes de chaque entraîneur ?
J’ai développé cette polyvalence durant mon enfance. J’ai toujours eu l’habitude d’alterner les positions : numéro 10 chez les jeunes, milieu relayeur avec la sélection, ailier en Norvège… Je me suis renseigné sur le style de jeu très offensif du Club Bruges avant de signer mon contrat. Cela m’a plu. Khalilou Fadiga, un ancien international sénégalais passé par ce club, m’en avait longuement parlé. Un jour, à l’entraînement, le coach, qui utilisait un système en 3-5-2, m’a testé comme piston, car j’aimais attaquer et défendre. Il était content de mon travail sur les deux côtés, donc c’est resté.
Il paraît que, petit, on vous appelait Andrés Iniesta. Pourquoi ?
C’est le joueur que je suivais le plus. Mon père, grand fan du FC Barcelone, n’avait d’yeux que pour Lionel Messi, « le meilleur joueur du monde ». Je n’arrivais pas à accepter cela. Oui, Messi a marqué beaucoup de buts, mais il faut donner du crédit à Andrés Iniesta, Xavi, Cesc Fabregas et Sergio Busquets. Ils ont aussi tiré le Barça vers le haut. Aujourd’hui encore, dans mon quartier, on m’appelle Andrés.
Avez-vous averti Fabregas qu’il avait de nouveau l’occasion de jouer avec Iniesta ?
(Il éclate de rire) Non ! Cesc est un sacré joueur, c’est l’incarnation du football moderne. C’est le genre de joueur qui te fait apprendre rapidement. C’est l’exemple à suivre. En tant que jeune joueur, c’est une chance de le côtoyer à l’AS Monaco. J’en rêvais.
Quelle place occupe l’AS Monaco au Sénégal ?
Tous mes amis du quartier regardent les matches de l’AS Monaco. C’est pourquoi mes vacances sont si compliquées : tout le monde veut un maillot du club ! (Il rit) Au Sénégal, les gens portent la tunique à la diagonale. C’est une fierté. Ils me soutiennent depuis que je suis petit, ils ont toujours cru en moi. Le peu de choses que je peux faire pour eux, je le fais. Donner des maillots, ça ne coûte rien. Au contraire, ça fait plaisir. L’AS Monaco devient très populaire chez moi et c’est beau à voir.
Vous participez à la vie de votre pays à travers des initiatives personnelles. C’est important de montrer l’exemple et d’aider vos compatriotes ?
Je ne suis pas le seul joueur originaire du Ziguinchor à le faire. Notre région est modeste. Le peu qu’on a, on essaie de le partager avec la communauté. Quand j’ai su que l’hôpital où je suis né rencontrait des soucis avec les blocs opératoires, je me suis dit que c’était de mon devoir d’aider. On a été éduqué comme ça.
Qu’est-ce que vous diriez à tous ces enfants qui, comme vous, jouent sur les terrains de Ziguinchor et se rêvent en Krépin Diatta ?
Ce que je leur répète à chaque fois : « Si vous souhaitez devenir footballeur, vous devez vous donner les moyens de réussir. Travaillez, aimez ce que vous faites. » J’étais comme eux. Je continue à me battre car il me reste encore beaucoup de choses à faire dans le football. Donc s’ils veulent devenir footballeur, ils doivent miser sur le travail.
Et sur les études, pour rassurer leur famille ?
Aussi (Il sourit). Ils connaissent tous mon histoire et l’importance de l’école. Dans notre pays, tous les parents ont la même approche. Tu peux jouer au football, mais les études restent prioritaires.