L’AS Monaco est le premier club du Championnat français à avoir créé un poste de diététicien-nutritionniste à temps plein. Raphaël Tourraton, chargé du suivi de l’équipe professionnelle, décrypte les enjeux de son secteur.
De Novak Djokovic, fervent défenseur du sans-gluten, à Erling Haaland, qui raffole des cœurs et des foies de vache, les sportifs se sont emparés du sujet de la nutrition ces dernières années. Au point d’alimenter, comme les deux exemples cités, les colonnes des journaux pour leurs positions tranchées et leur alimentation parfois, disons-le, spéciale.
Dans le milieu du football, l’Angleterre est considérée comme précurseure en la matière. Dans un dossier consacré au sujet en 2021, le magazine France Football relie la prise de conscience anglo-saxonne à l’arrivée d’Arsène Wenger, ancien entraîneur de l’AS Monaco, à la tête du club londonien d’Arsenal en 1996. Comme un symbole, c’est le club princier qui fait figure de bon élève dans le Championnat français.
C’est lui qui, bien avant tous ses concurrents nationaux, a créé un poste de diététicien-nutritionniste à temps plein pour son équipe professionnelle en 2016, alors pourvu par Juan José Morillas. Depuis le départ de l’Espagnol à l’été 2022, c’est Raphaël Tourraton, embauché un an plus tôt pour l’Academy, qui a repris le flambeau. « Si les Anglais ont encore de l’avance sur les autres pays, la France est en train de rattraper son retard », confirme cet ancien handballeur professionnel.
Un club à la pointe
A Monaco, signe de l’importance accordée à ce domaine, l’alimentation est intégrée à la notion de performance globale. C’est-à-dire que les diététiciens-nutritionnistes doivent œuvrer main dans la main avec d’autres secteurs composant le Département de la Performance : « Nous avons très vite compris que le résultat final dépendait de plusieurs paramètres. Chacun essaie de contribuer selon sa spécialité, de l’ostéopathe au podologue en passant par le kinésithérapeute et le préparateur physique. »
Au bout de ce travail collectif et novateur, la promesse de joueurs en bonne forme, épargnés par les blessures et à la disposition de l’entraîneur. Raphaël Tourraton, lui, court après les gains marginaux. Des détails qui, mis bout à bout sur la durée, permettront de faire la différence physiquement.
Son rôle n’est pas de vendre du rêve en promettant des progrès immédiats mais plutôt d’instaurer des bases solides de nutrition et d’établir une relation de confiance fondée sur la discussion avec les footballeurs monégasques. La première partie de son travail consiste à les mesurer et à les peser en début de saison, puis à leur faire passer régulièrement des tests afin d’évaluer leur composition corporelle et notamment le taux de masse grasse.
Transparence et respect
En ce qui concerne l’alimentation, le diététicien-nutritionniste s’appuie sur la cafétéria « de très haut niveau » du Centre de Performance qui propose quotidiennement une cuisine saine et équilibrée à base de produits frais, locaux et de saison. Les joueurs ont l’obligation d’y prendre le petit-déjeuner et le déjeuner.
« Personne ne rechigne car nous leur proposons des menus qualitatifs. Les plus jeunes ont la possibilité d’emporter des repas pour le soir. D’autres ont des chefs à domicile avec lesquels je suis en relation permanente pour définir les besoins de chacun. Ce sont des relais très précieux. Je n’influe jamais sur les menus mais je donne des recommandations de portions de féculents, de légumes et de protéines en fonction de leur état et de leur situation », décrypte Raphaël Tourraton, qui veille également sur les collations post-entraînements et étudie la question de l’hydratation. Des périodes comme le ramadan et le carême nécessitent des ajustements et la coopération avec les joueurs concernés se fait dans la transparence et dans le respect.
Les joueurs sensibilisés à l’Academy
La carrière d’un footballeur est assimilée à un parcours jonché de privations en tous genres. S’ils ne peuvent céder à toutes les tentations gustatives, les joueurs de l’AS Monaco sont néanmoins encouragés à appliquer la « règle du 80/20 » pour lutter contre le sentiment de frustration. « Si je fais tout ce qu’il faut 80% du temps, ce ne sont pas les 20% restants où je me fais plaisir qui poseront problèmes », explique le spécialiste. Lequel assure aussi le rôle de « garde-fou » en collaboration avec les médecins du club lorsqu’il s’agit de sensibiliser à la problématique du dopage.
Dans une volonté de les rendre « beaucoup plus acteurs de leur alimentation », les pensionnaires du centre de formation mettent la main à la patte dès leur arrivée à La Diagonale. Au menu : des activités ludiques avec Thomas Ladrat, le diététicien-nutritionniste de l’Academy. « Thomas a repris le concept de l’émission Un dîner presque parfait : un joueur cuisine pour les autres qui évaluent sa prestation, et les rôles s’échangent, raconte Raphaël Tourraton dans un sourire. On doit faire preuve d’inventivité pour qu’ils deviennent décisionnaires et indépendants, pour que l’alimentation devienne une routine et non une contrainte dès leur plus jeune âge. »
Jérémie Bernigole