Débarqué en Principauté l’été dernier pour diriger l’équipe pro, Adi Hütter a su créer une relation de confiance avec son groupe qui lui permet, à la mi-saison, d’être dans la course aux places européennes.
[ENTRETIEN RÉALISÉ LE 11 JANVIER] La fin des vacances a sonné. Les joueurs de l’AS Monaco ont fait leur retour début janvier au Centre de performance, et il en est de même pour le staff, Adi Hütter en tête. L’entraîneur autrichien de 53 ans a profité de quelques jours de repos pour se ressourcer en famille « et réfléchir à la première partie de saison ». Après 17 journées, son équipe est bien placée en Ligue 1 mais l’ancien milieu de terrain ne baisse pas la garde.
Si le jeu exaltant de l’ASM en a fait l’une des équipes les plus spectaculaires du Championnat, Adi Hütter, lui, préfère avancer prudemment. C’est ce qu’il nous a longuement expliqué le 11 janvier, le second entraîneur autrichien de l’histoire du club princier – après Anton Marek (1956-1957) – retraçant son parcours, de ses premières touches de balle prometteuses à Altach à ses ambitions monégasques.
CONSTRUCTION
A quoi ressemblait votre jeunesse à Altach, une petite commune de l’ouest autrichien ?
Elle était heureuse, même si nous n’avions pas grand-chose. Nous vivions en appartement, dans une vieille maison. C’était dur mais, gamin, je passais le plus clair de mon temps à jouer dehors avec mes copains. J’avais déjà le football en tête. D’ailleurs, à l’école, je disais que je voulais devenir footballeur professionnel, ce qui ne plaisait pas tellement à mes professeurs qui me répondaient que ce n’était pas un métier. Inutile d’ajouter que je n’étais pas le meilleur élève ! (Rires.) Ça a commencé à devenir sérieux lorsque j’ai été retenu parmi les meilleurs joueurs de l’État de Vorarlberg (la République d’Autriche est composée de neuf lands). Vers 18 ans, j’ai quitté le foyer familial pour réaliser mon rêve.
Quel a été le plus grand moment de votre carrière de joueur ?
Il y a les titres de champion d’Autriche et mes capes en équipe nationale, mais je pense immédiatement à la finale de Coupe UEFA que j’ai disputée en 1994 avec le Casino Salzbourg (ancêtre du Red Bull Salzbourg) face à l’Inter Milan, l’une des grandes équipes de l’époque. Nous les avions affrontés en match aller-retour. J’étais suspendu pour le premier match (accumulation de cartons jaunes) que nous avions joué à Vienne (0-1), notre stade étant trop petit (12 000 places contre 47 500 dans la capitale). Une idée lumineuse de notre président : la rencontre s’est disputée à guichet fermé ! La seconde manche, en revanche, je l’ai jouée devant 80 000 spectateurs à Giuseppe-Meazza. Malgré la défaite (0-1), nous avions livré un match plein. Une équipe autrichienne qui tient tête au géant milanais de Dennis Bergkamp et Walter Zenga, c’était immense, le sommet de notre carrière. (Songeur.) Je repense souvent à ces moments. Avoir mené une carrière pendant 20 ans et la poursuivre sur le banc me rend très fier.
Étiez-vous un de ces joueurs curieux qui posent des questions à l’entraîneur pour comprendre les mécanismes du jeu ?
A mes débuts ? Certainement pas ! (Sourire.) Je me fichais de tout ça, je ne pensais qu’à jouer. Je suis devenu curieux à 26 ans par la force des choses. Avec Salzbourg, nous dominions le Championnat et, avec les départs de plusieurs cadres, l’équipe a dû être rebâtie. Dans le même temps, notre joueur le plus expérimenté, Heribert Weber, a pris sa retraite et est devenu notre entraîneur. Il m’a confié le brassard de capitaine. Dès lors, je ne pensais plus à ma petite personne et j’ai commencé à m’intéresser à tous les domaines. Je suis devenu en quelque sorte le bras droit de l’entraîneur. Je faisais plus attention aux détails, j’étais là pour aider mes coéquipiers, je prenais mes responsabilités… et j’ai adoré.
Quelle a été la plus grande leçon que vous avez apprise depuis que vous êtes passé de l’autre côté ?
La difficulté de rester entraîneur dans le football d’aujourd’hui. Si tu ne rencontres pas le succès rapidement, tu n’as aucune chance de faire une longue carrière, d’autant plus si tu es Autrichien. Pour nous autres, le chemin menant en Allemagne ou à Monaco est tortueux. Un entraîneur de mon pays a rarement la possibilité de s’exporter. Les places sont chères. Il doit absolument gagner, imprimer sa patte et plaire. Depuis 2008, j’ai dirigé 500 ou 600 matches (595 exactement au moment de l’interview). J’en suis très fier car je n’imaginais pas du tout me trouver ici lorsque j’ai lancé ma carrière.
STYLE
A vos débuts, vous prôniez un jeu de possession qui s’est peu à peu effacé au profit d’un football vertical et agressif. Comment expliquez-vous cette rupture ?
C’est vrai que j’aimais partir de l’arrière, créer les occasions en prenant le temps de construire avec une multitude de passes. Mon évolution a été influencée par Milan Miklavič, un entraîneur slovène qui m’a dirigé à Graz en 1992. C’était un grand fan de l’AC Milan d’Arrigo Sacchi, et donc de pressing. J’ai commencé à changer de regard sur le jeu à l’époque où Pep Guardiola marchait sur l’Europe. Tout le monde parlait du « tiki-taka » et de la possession gargantuesque de son FC Barcelone ; moi, j’étais fasciné par la réaction de ses joueurs à la perte du ballon. En six ou sept secondes, la balle était de nouveau à eux, c’était fantastique. Il n’y a rien de plus dur à supporter pour l’équipe adverse que de passer le match à courir après le ballon et le perdre aussitôt.
Si vous deviez garder une seule notion de votre jeu, quelle serait-elle ?
Le contre-pressing, justement. C’est factuel : tu as de meilleures chances de marquer en gagnant le ballon dans la moitié de terrain adverse que dans la tienne. C’est pour ça que je demande sans cesse à mes joueurs quelles sont nos idées avec ET sans ballon. Je les incite à trouver des solutions pour ne jamais être dépassés. Jouer vertical, casser les lignes, trouver les espaces, j’aime ce style de jeu. A mon sens, un supporter doit venir au stade pour voir un football enthousiasmant, inspirant, pas pour s’ennuyer. Moi, quand je vais au stade, c’est pour voir du beau jeu. Je pense que les joueurs, aussi, préfèrent ce type de football plutôt que de garder précautionneusement la balle en attendant je-ne-sais-quoi.
Vous renvoyez une image sympathique dans les médias. Est-ce le cas avec vos joueurs ?
Je ne suis pas un de leurs amis – je suis trop vieux pour ça -, mais je ne suis certainement pas leur ennemi. C’est important qu’ils sachent qu’ils peuvent et qu’ils doivent me trouver quand ils rencontrent des difficultés dans leur vie. La porte de mon bureau est toujours ouverte. J’ai créé une bonne relation avec les joueurs durant la pré-saison. Je les aime tous. Il peut m’arriver d’entrer dans une colère noire si quelque chose ne me plaît pas sur le terrain, mais je protégerai toujours l’équipe comme ma famille. Le plus important, c’est qu’on rencontre le succès ensemble.
AS MONACO
Comment résumeriez-vous la première partie de saison ?
Nos débuts ont été vraiment bons. Je suis resté mesuré face à l’engouement suscité par nos résultats car je savais qu’on finirait par rencontrer quelques difficultés qui sont tout à fait normales à ce niveau. Nous n’avons pas été aidés par les blessures et nous avons aussi perdu beaucoup de points qui étaient à notre portée, je pense surtout au nul à Lorient (2-2), ainsi qu’aux défaites à domicile contre Nice et Lyon (0-1), concédées sur des buts tardifs. Notre marge de progression est grande. Nous devrions avoir cinq ou six points de plus, donc je ne peux pas être satisfait à 100 %.
Quel a été votre match le plus abouti ?
Peut-être une rencontre de début de saison où nous avons dominé nos adversaires comme Strasbourg. Lens ou Marseille à la maison étaient aussi des rencontres très agréables. Ce qui m’a plu ces premiers mois, c’est la capacité de réaction de mes joueurs. Monaco est l’équipe qui a glané le plus de points après avoir concédé l’ouverture du score (14). Il faut complimenter les joueurs pour leur mentalité.
Qu’est-ce qui rend ce club si spécial ?
Sa tradition. De très grands joueurs et entraîneurs sont passés par ici. En signant à Monaco, j’ai été impressionné par le Centre de performance. Je l’ai été encore plus par les nombreuses personnes travaillant au club. Bienveillantes, agréables, passionnées. J’ai eu la sensation que tout le monde allait nous aider à retrouver l’Europe. En fin de saison dernière, la déception était grande alors que le club était en bonne posture à sept journées du terme. Je l’ai sentie, et ça m’a encore plus motivé. On pourra atteindre nos objectifs à condition que tout le monde tire dans le même sens.
La prochaine saison sera celle du centenaire de l’AS Monaco. La pression de ramener le club en Ligue des Champions est-elle exacerbée ?
A Monaco, comme dans tous les grands clubs, la pression est monnaie courante. Ce n’est pas nouveau pour moi, je l’expérimente depuis longtemps maintenant. Je peux comprendre les attentes, c’est un moment très spécial. Je vous promets que tout le monde veut retourner en Ligue des Champions. Personne ne nous offrira la qualification, nos adversaires ont la même chose en tête, les Lens, Marseille, Nice, Lille… Il faut travailler dur pour l’obtenir. Je reste positif.
Propos recueillis par Jérémie Bernigole
SON STAFF
Christian Peintinger, le lieutenant historique
Voir Christian Peintinger aux côtés d’Adi Hütter n’est que la suite logique d’une collaboration entamée en 2015. « Nous sommes plus que des collègues, nous sommes amis, rembobine le natif de Hohenems. Je le connais depuis 23 ans. J’observais ses matches lorsqu’il officiait en troisième division autrichienne. Un jour, il m’a confié qu’il aimerait travailler avec moi et on a exaucé ce voeu commun aux Young Boys Berne. » Après trois années couronnées de succès en Suisse, Christian Peintinger l’a suivi à l’Eintracht Francfort puis au Borussia Mönchengladbach. Un lien fort unit donc les deux hommes : « On a la même idée du foot, ce qui n’empêche pas quelques débats. Son rôle est de me présenter un miroir afin de me faire réfléchir sur mes décisions. L’honnêteté suinte dans notre relation. »
Klaus Schmidt, la belle prise
Le binôme s’est transformé en triumvirat en janvier dernier lors d’un voyage à Dubaï. En stand-by depuis la fin de son aventure à Mönchengladbach, Adi Hütter discute avec Klaus Schmidt. Ce dernier jouit d’une longue expérience sur les bancs autrichiens après avoir dirigé des clubs comme Mattersburg, l’Admira Wacker ou encore Hartberg. Il fut même l’entraîneur adjoint de l’ancien milieu de terrain, à Altach, en 2000. « Le marché étant très fermé en Autriche, Klaus attendait une offre qui tardait à se manifester. L’occasion était belle de l’inclure dans mon staff car il dispose d’une expérience énorme. » En 27 ans de coaching, Klaus Schmidt a essaimé son savoir-faire à plusieurs postes, notamment comme directeur d’un centre de formation et physiothérapeute.
Frédéric de Boever, la touche belge
Contrairement à Christian Peintinger et Klaus Schmidt, Frédéric de Boever n’est pas arrivé dans les valises d’Adi Hütter, mais dans celles de Philippe Clement. Entraîneur des gardiens, le Belge de 43 ans a rejoint la Principauté en janvier 2022 après des expériences exotiques (Singapour, Qatar) puis au FC Bruges. « Je ne le connaissais pas, avoue Adi Hütter. J’ai eu une bonne conversation avec la direction sportive qui me l’a présenté comme un professionnel de grande qualité. C’était une évidence pour moi de le conserver. » Pendant que les joueurs de champ s’activent à l’entraînement sous la férule du trio autrichien, Frédéric de Boever se focalise sur Philipp Köhn, Radoslaw Majecki et Yann Liénard.