Du 24 octobre au 6 novembre dernier, la Principauté a accueilli la poule A du tournoi des Candidates de la Fédération Internationale des Échecs. Une première étape capitale de ce processus qui désignera l’heureuse élue qui affrontera la championne en titre Ju Wenjun l’an prochain.
En ce vendredi de début novembre, l’heure est à la concentration dans le Salon Gustave de l’Hôtel Hermitage. Le silence est total, la tension palpable. Installées face à face, l’Ukrainienne Anna Mouzytchouk et la Chinoise Lei Tingjie balaient l’échiquier des yeux, de bas en haut, rapidement. Elles étudient leurs options. Se jaugent brièvement aussi, de temps en temps. Le combat semble se jouer aussi bien sur l’échiquier que mentalement. L’enjeu est de taille. Celle des deux qui remportera cette poule A – « l’équivalent des quarts de finales du championnat du monde féminin », explique Jean-Michel Rapaire, président de la Fédération Monégasque des Échecs (FME) et du Cercle d’Échecs de Monte-Carlo – participera ensuite à la grande finale du Tournoi des Candidates, face à la lauréate de la Poule B. Avec l’espoir de gagner son ticket pour les championnats du monde. Alors, pas question de céder du terrain.
Monaco, terre d’échecs
Avec ce Tournoi des Candidates, la Principauté perpétue sa longue tradition de terre d’accueil de la discipline, reconnue depuis 1999 par le CIO comme un jeu d’esprit. Déjà organisatrice, en 1993, du match final des Candidates puis du championnat du monde féminin, la FME a accueilli, depuis, quelques Grands Prix, des Championnats d’Europe, sans oublier la première édition des European Chess Union Awards en 2019, ou encore le Tournoi des Petits États, qu’elle a contribué à créer.
« Nous entretenons d’excellentes relations avec Monaco en raison des événements de la Fédération internationale des échecs (FIDE) et d’autres compétitions de haut niveau organisés par le passé, y compris à l’échelon européen. Nous avons le sentiment que Monaco et sa Fédération, mais aussi Jean Michel Rapaire lui-même, les équipes locales et les soutiens, peuvent accomplir de grandes choses. Ainsi lorsque nous avons reçu la proposition de Jean-Michel, il nous a semblé une bonne idée de le faire ici », confirme Arkadi Dvorkovitch, le président de la FIDE.
Si cette compétition, créée en 1952, a connu plusieurs formats au cours de sa longue existence, le Tournoi des Candidates inaugure cette année une organisation un peu particulière avec la mise en place de deux poules qualificatives. Les deux finalistes s’affronteront ensuite en six manches, dans l’optique de devenir l’heureuse élue qui affrontera la championne du monde en titre, la Chinoise Ju Wenjun, l’an prochain. « Sur les huit joueuses, deux sont ukrainiennes et trois russes. Compte-tenu du contexte géopolitique, la FIDE a donc décidé de faire deux groupes de quatre joueuses afin que les Russes et Ukrainiennes ne jouent pas ensemble », détaille Jean-Michel Rapaire.
A Monaco, on retrouvait ainsi les sœurs Mouzytchouk, Anna et Mariya, qui connaissent bien la Principauté pour l’avoir représentée à plusieurs reprises, avec le Cercle d’Échecs de Monte-Carlo, lors de la Coupe d’Europe des Clubs. Avec Anna, l’aînée, le club y a d’ailleurs remporté la médaille de bronze sous les couleurs rouge et blanche en octobre. Aux côtés des deux Ukrainiennes, on retrouvait deux autres pensionnaires du Top 10 mondial, l’Indienne Humpy Koneru, qui avait participé aux Grand Prix féminins à Monaco en 2015 et 2019, et la Chinoise Lei Tingjie.
Boa constricteur
Avec un tel palmarès, ce tournoi promettait donc son lot de rencontres engagées. Au programme de cette compétition, un véritable marathon avec des matches en quatre parties, entrecoupées d’un jour de repos, avec une journée de départage en cas d’égalité. Le tout sur un format classique, qui peut donner des rencontres « de 4 à 5 heures 30 voire 6 heures si l’on va très loin », précise Jean-Michel Rapaire.
Et ce tournoi a commencé sur les chapeaux de roue, avec une victoire de Lei Tingjie sur Mariya Mouzytchouk, et Humpy Koneru sur Anna Mouzytchouk. Si ce succès a permis à la première de se qualifier sans passer par le tie-break – « sur le ‘body language’, elle était en mode ‘tueuse’, ça se voyait dans le regard », souligne le président de la FME -, le duel Anna Mouzytchouk – Humpy Koneru, lui, fut haletant jusqu’au dernier coup. Avec deux nuls et une victoire chacune, les deux joueuses durent se départager en quatre parties rapides. « Une fois une rapide terminée, on enchaînait avec la suivante 10 minutes après. Ces manches à la cadence de 15 minutes et 10 secondes par coup représentent 40 minutes d’efforts assez intenses. Cela demande beaucoup de concentration, plus le stress qui monte, la fatigue… », souligne Jean-Michel Rapaire.
A égalité au terme de ces trois matches, c’est finalement Anna Mouzytchouk qui l’emporte après une « gaffe » de sa concurrente indienne et rejoint Lei Tingjie en finale. « Lors des premières parties, aucune des deux n’a voulu prendre de risques. Sur la quatrième et dernière manche, Lei Tingjie a donné l’impression d’être un boa constricteur. Petit à petit, tranquillement, elle a étouffé son adversaire », relate le président. C’est donc la Chinoise qui affrontera la vainqueur de la Poule B, qui s’est déroulée du 29 novembre au 11 décembre en Ouzbékistan. La date et le lieu de la finale du Tournoi des Candidates, et surtout, du championnat du monde, eux, restent encore à définir.
Trente ans après, Jean-Michel Rapaire se prête à rêver d’un nouveau Mondial à domicile, lui dont le club a fait des échecs féminins son fer de lance. « Avec le soutien de l’État, tout est possible. Monaco est un endroit formidable, alors pourquoi pas ? », lance Arkadi Dvorkovitch.