Les rues de la Principauté ont vibré tout le premier week-end de mai. Pour la première fois en 10 ans de Monaco E-Prix, la Formule E a osé un double header sur le tracé mythique devant des tribunes bondées. Opération séduction réussie !
L’histoire de la Formule E à Monaco est celle d’une conquête. En 2015, la première génération de monoplaces électriques, les « GEN1 », se contentait d’un parcours tronqué autour du Port, jusqu’à la chicane, afin d’éviter la montée de Beau-Rivage vers le Casino. Un circuit « sans âme » et « désuet » selon les puristes, où Sébastien Buemi et Jean-Eric Vergne régnèrent. La faute, en partie, à la puissance insuffisante des batteries de l’époque, mais aussi afin d’éviter d’éventuelles comparaisons peu flatteuses avec la Formule 1.
Puis vint le grand saut en 2021 avec l’arrivée des « Gen2 » : le championnat 100% électrique adopta le circuit intégral de son illustre cousine, avec ses 3,3 kilomètres de rails serrés et son tunnel mythique. Résultat ? Une explosion de dépassements (116 en 2023, 197 en 2024), des épreuves intenses et indécises, ainsi que des batailles dignes des plus grands classiques, comme le chef-d’œuvre tactique d’Antonio Felix da Costa et sa manoeuvre à la chicane du Port dans le dernier tour sur Mitch Evans en 2021. « C’était sans doute le dépassement le plus risqué de ma carrière », avait déclaré le Portugais, ému par son succès de prestige sur le plus grand tracé du sport auto mondial.
Un public convaincu

Cette année, la FE a enchéri avec plusieurs nouveautés dont une révolution : les organisateurs ont instauré deux Monaco E-Prix. Une première pour la Principauté, présente au calendrier de la Formule E depuis la saison 1. Une évolution symbolique, aussi, pour un championnat qui, depuis ses débuts en 2015, a su transformer Monaco en laboratoire de son ambition : allier spectacle, technologie et durabilité. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les spectateurs monégasques ont plébiscité ce nouveau format puisqu’ils étaient 35 000 dans les tribunes sur l’ensemble du week-end malgré la pluie, attirés sans aucun doute par les prix attractifs (30 € la journée) et la promesse de ne pas s’ennuyer.
Lors de la course du samedi, ils ont pu découvrir l’autre innovation majeure de cette saison 11 : l’introduction du Pit Boost, un système de recharge ultra-rapide (600 kW en 30 secondes) obligeant les pilotes à un arrêt aux stands lorsque la batterie de leur monoplace « Gen3 Evo » atteignait 40 à 60 % de charge. Testée pour la première fois à Djeddah en février, cette règle a dynamisé les stratégies, même si elle a divisé. Et dire qu’au début du championnat électrique, les pilotes devaient changer de monoplace en cours d’épreuve pour être sûrs de franchir la ligne d’arrivée ! « Le Pit Boost est l’un des ajouts les plus ambitieux et les plus importants, non seulement pour notre série mais aussi pour le sport automobile moderne », jurait le cofondateur de la Formule E, Alberto Longo.
Buemi, la garde suisse
Oliver Rowland, le leader du Championnat, peut le remercier. Parti depuis la pole le samedi, le pilote Nissan a profité des déboires de Nico Müller (Andretti), victime d’un problème technique… lors de son Pit Boost, pour s’imposer après une remontée épique en fin de course. Le lendemain, il signait la pole position de la seconde manche du week-end et semblait bien parti pour faire le doublé, mais il était écrit qu’un revenant lui volerait la vedette. Sébastien Buemi, recordman de victoires en FE (14), s’est imposé alors qu’il n’avait plus gagné depuis six ans (New York 2019). A Monaco, c’était encore pire : huit ans qu’il attendait ça après deux succès en 2015 et 2017 ! Sur une piste humide, le pilote Envision a délivré une masterclass : qualifié huitième, il a activé ses Attack mode avec une précision chirurgicale, dévorant Nyck de Vries (Mahindra) dans la montée de Beau Rivage au 22e tour pour s’emparer de la tête. « Tout s’est aligné parfaitement », souriait Buemi, soulagé d’avoir brisé une série de 78 courses sans succès en FE.
Une victoire libératrice pour celui qui avoue avoir traversé une crise de confiance face aux jeunes loups de la série comme Nick Cassidy ou Oliver Rowland : « On reste des compétiteurs mais il est normal de douter de soi à un moment donné. On se dit qu’on n’y arrive plus… » La roue a donc tourné à Monaco, son circuit d’adoption, où l’enchaînement de deux courses a laissé certains pilotes sceptiques, Antonio Félix da Costa témoignant sa crainte de voir cet « évènement planétaire » dilué : « Il ne devrait y avoir qu’un seul vainqueur à Monaco. » « Nous avons la chance de pouvoir y courir, nous ne pouvons donc pas nous plaindre de courir encore plus ici », lui a répondu Norman Nato (Nissan), fervent adhérent du double header monégasque, comme beaucoup d’autres. Quand on voit le spectacle proposé une nouvelle fois en Principauté, on ne peut que lui donner raison !
JB