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Prince Albert I de Monaco

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« Il pratiquait beaucoup » : le sport monégasque sous Albert Ier

La Principauté commémore le centenaire de la disparition de son Prince Navigateur (1848-1922) jusqu’au 10 avril. Le règne de ce visionnaire, passionné de sciences et de nouvelles technologies, aura contribué à bon nombre d’innovations et d’avancées, à commencer par le sport. Voyage dans le temps.  

Les liens étroits qu’ont toujours entretenus les souverains de Monaco et leurs sujets avec le sport ne sont guère un secret. A chaque Jeux Olympiques, nombre de Monégasques portent haut et fort le drapeau rouge et blanc. A l’image d’ailleurs du Prince Albert II lui-même, athlète polyvalent, qui a participé à cinq Olympiades en bobsleigh. Et n’oublions pas bien sûr les milliers de licenciés, de tout âge et de tout niveau, qui font vivre les nombreux clubs de la Principauté, ni même ces grands événements de prestige, que sont le Grand Prix de Formule 1, le Rallye Monte-Carlo ou encore le Rolex Monte-Carlo Masters, qui déplacent des foules venues des quatre coins du monde. Pour expliquer cet attachement viscéral, partons au début du règne du Prince Albert Ier (1889-1922), dont on célèbre cette année le centième anniversaire de sa disparition*.

A cette époque charnière, le virage vers la modernité initié sous son père, Charles III (1818-1889) avec la création du quartier de Monte-Carlo et de son Casino, prend toute sa mesure. La Principauté est devenue un haut lieu de villégiature de l’aristocratie. Et ces riches hivernants emmènent dans leurs valises nombre de pratiques sportives et récréatives, qui ont émergé à travers l’Europe. Escrime, voile, golf, tennis, hippisme… « A la base, c’est le sportsman. Le sport n’est pas encore démocratisé, ce sont des pratiques qui se font entre gens d’un certain milieu. Il y a un certain standing. Au départ, c’est essentiellement du tir aux pigeons, des régates », explique Béatrice Novaretti, conservateur de la médiathèque de Monaco, et co-commissaire de l’exposition « La Belle Epoque sportive : rayonnement et innovations sous le règne d’Albert Ier » qui se tiendra du 15 mars au 10 avril, Quai Antoine-Ier, dans le cadre des commémorations du centenaire de la disparition du Souverain. « C’est normal parce que pour pratiquer le sport en fin de compte, il faut avoir le temps, les moyens… les compétitions, on ne peut pas en vivre. En fait, ce sont des gens aisés qui ont un divertissement », confirme Dominique Bon, responsable du Fonds Régional et co-commissaire de la manifestation.

L’influence de Camille Blanc

A l’époque, c’est l’International Sporting Club (ISC), département de la Société des Bains de Mer (SBM) dirigée par Camille Blanc, qui se charge de satisfaire les attentes et de distraire cette clientèle fortunée. « De nombreuses personnalités anglaises ayant demandé au prince l’ouverture d’un cercle qui leur serait réservé, Camille Blanc crée en 1903 l’International Sporting Club », souligne Yolande Blanc-Chabaud dans son ouvrage « Monaco : naissance d’une vocation sportive 1862-1939 », avant d’ajouter : « L’article 1er des statuts de l’International Sporting Club précise que le Club est créé pour offrir un lieu de réunion et de distraction à la colonie étrangères et organiser les manifestations sportives et expositions artistiques qui lui sont offertes. »

Et des idées, le dynamique directeur, le fils de François Blanc, créateur et premier gestionnaire de la SBM, n’en manque pas pour faire du Rocher un haut lieu du tourisme international. Il a en commun avec le Prince Albert Ier une passion pour la chasse, ainsi qu’une curiosité insatiable pour l’aventure et les innovations techniques. Et surtout, il sait s’entourer. Pour les meetings de canots (voir notre article dans CSM 55) créés en 1904, il fait appel à Georges Prade, rédacteur en chef de la revue parisienne La Vie au Grand Air, qui lui apporte son carnet d’adresses.

Et surtout une belle publicité. D’ailleurs le développement de la presse en général a fortement contribué au rayonnement de la Principauté. « Même à ce moment-là, il n’y a pas d’événement sportif sans média. On n’organise pas une coupe dans son coin. De suite, il y a le rôle de la presse, écrite principalement, qui contient en son sein une nouvelle technologie : la photo », rappelle Dominique Bon.

Au fil des ans, qu’ils soient organisés ou seulement soutenus par la SBM, les événements d’envergure et de prestige se multiplient. A un point qu’il est impossible de tous les nommer tant la liste est longue. Mais on se rappellera du tournoi de tennis – qui deviendra le fameux Rolex Monte-Carlo Masters – créé en 1897, les premiers tournois d’escrime, initiés par le comte Albert Gautier-Vignal, les courses cycliste, le carnaval des sports de 1913 ou encore, plus insolite, à la grande semaine de la pelote basque ou encore au Concours international de chiens. En 1912, la Principauté s’offre une belle vitrine mondiale en organisant le Championnat d’Europe des poids moyens, opposant le jeune champion français Georges Carpentier au boxeur britannique Jim Sullivan, un véritable événement pour lequel une arène de plus de 5 500 places avait été créée sur le terrain Radziwill. Notons d’ailleurs que cet espace multisports, situé à l’emplacement actuel de la bibliothèque Louis Notari, fut le théâtre de bon nombre de manifestations sportives.

Il faut dire que cette parcelle est l’une des rares encore libres à cette époque où il n’existe ni stade ou ni équipement sportif à proprement parler. Si, grâce à la SBM, le golf s’est déjà installé au Mont-Agel, pour le reste, « tout se passe dans le port, sur le Tir aux Pigeons et ce fameux terrain Radziwill. Il y a aussi un terrain à Fontvieille, mais qui est vraiment rudimentaire », souligne Dominique Bon. Et déjà, on redouble d’inventivité. A l’image des premiers courts de tennis qui, après un passage sur la pelouse du Tir aux Pigeons, seront aménagés sur plusieurs emplacements (Hôtel de Paris, Terrain Radziwill, toit du garage Auto Riviera à Beausoleil) avant de trouver définitivement place à l’actuel Monte-Carlo Country Club en 1928.

Le Prince Albert Ier, un sportsman

Bien sûr, rien de tout cela n’aurait pu avoir lieu sans l’approbation du Souverain. Il faut dire que lui-même est un amateur de sport. Passionné de chasse depuis sa jeunesse, c’est un sportsman au sens large du terme. « Il pratiquait beaucoup de sport. Il a fait de l’alpinisme, de la motocyclette », confirme Dominique Bon. Adepte de bicyclette et de tandem – en 1894, il effectue un Paris-Marchais, dans l’Aisne, où sa mère possède le château qui l’a vu grandir– il accueille avec enthousiasme l’arrivée des moteurs, et enfourche régulièrement dès le début du siècle autocyclette et motocyclette pour des randonnées à deux roues.

Cette passion des sports mécaniques, on la retrouve lors des meetings de canots automobiles inaugurés en 1904, que sont venus enrichir quelques années plus tard les hydroaéroplanes et les hydravions. Le « Prince Savant », comme il est surnommé, est bien connu pour sa soif de découverte et son intérêt pour les nouvelles technologies. Car au-delà même de l’aspect sportif, « Le Meeting », comme il était surnommé à l’international, fait de la Principauté un véritable laboratoire pour les sports automobiles, apportant une contribution majeure au progrès technologique, tant en matière de moteurs que d’architecture navale. Tout comme le fera dès 1911 le Rallye Monte-Carlo imaginé par le Sport Automobile et Vélocipédique de Monaco, créé pour sa part en 1890 (voir notre article dans CSM 56).

Et à ce développement technique, source d’enjeux économiques et industriels, s’ajoutent également des questions politiques et diplomatiques. Ainsi dès 1898, il se rend régulièrement aux régates de la Semaine de Kiel, où il tente dans ce contexte informel et détendu d’œuvrer au rapprochement franco-allemand. « Le Prince y rencontre régulièrement Guillaume II. Il avait une volonté de pacifier l’Europe, avant 1914 », souligne Dominique Bon.

Le sport s’invite chez les Monégasques

Sous le règne d’Albert Ier, la Principauté et ses Monégasques s’ouvrent aussi au sport. Le tout premier club, la Société des Régates, l’ancêtre du Yacht Club et de la Société Nautique, est d’ailleurs créé sous son haut patronage en 1888. Ce sera le premier d’une longue série. Mais à l’époque, la pratique sportive n’a pas grand-chose à voir avec ce que l’on connaît actuellement. Les athlètes pratiquent généralement plusieurs disciplines, à l’image des clubs d’ailleurs qui petit à petit sont créés sous l’impulsion des nationaux. Ainsi, l’Étoile de Monaco, fondée en 1890 par Eugène Marquet et Charles Vatrican, regroupe en son sein gymnastique, natation et l’athlétisme. A noter qu’une section féminine y sera également créée neuf ans plus tard.

En 1903, c’est au tour de l’Herculis de Monaco et de ses sections athlétisme et football, de voir le jour sous le nom de Cours Sportif Athlétique Herculis. Les deux fusionneront bien des années plus tard, en 1923 précisément, pour devenir Monaco Sports, après près de deux décennies de dualité. (Notons, pour la petite histoire, que sous le règne de Louis II, en 1924, ce dernier fusionnera avec le Monte-Carlo Swimming-Club (natation), le Riviera Athlétic Club, le Ravanett-Club (cyclisme) et l’Association Sportive des P.T.T. de Beausoleil (football) pour devenir l’actuelle A.S. Monaco. La section gymnastique s’en retirera en 1926 pour redevenir L’Etoile, qu’elle est toujours aujourd’hui).

L’escrime est aussi très populaire. Le Tir aux Pigeons accueille dès 1887 la première salle d’armes monégasque. La discipline sera aussi pratiquée à « L’Etoile, chez les sapeurs-pompiers, la Société des Régates puis, après, à la salle Jules Prat. Il est même question en 1896 de créer une section escrime au Sport Vélocipédique de Monaco », soulignait Maître Robert Prat lors d’une conférence sur « L’escrime au temps du Prince Albert Ier » donnée en juin dernier à la médiathèque. Ce n’est qu’en 1909 que naît l’Escrime et le Pistolet, sous l’initiative de Jules Prat, son grand-père alors sapeur-pompier en Principauté.

Notons par ailleurs la création du Club Alpin Monégasque en 1911, puis celle de La Carabine de Monaco l’année suivante. Et ce formidable dynamisme se traduira également sur les terrains. Et ce, en dehors des frontières où les athlètes commencent à faire briller les couleurs monégasques comme à domicile, où les événements sportifs se multiplient, à l’instar du Concours international de Gymnastique de 1909, de la course pédestre Nice – Monaco (1905 -1914) remportée à plusieurs reprises par Jean Bouin, du Meeting de l’Herculis ou des concours de natation organisés dans le port.

Une fin de règne sous le signe de l’Olympisme

Si la Première Guerre mondiale met fin à la Belle Époque, cassant la dynamique et l’ébullition qui animaient les grands rendez-vous mondains, la Principauté sait s’adapter et rebondir. S’il faudra attendre 1924 pour voir Monte-Carl’ reprendre les routes européennes, on assiste dès 1919 au retour du tournoi de tennis avec une certaine Suzanne Lenglen en guest star. De 1921 à 1923 sont ainsi organisées chaque année les « Olympiades féminines » avec, là encore, la SBM de Camille Blanc aux manoeuvres. Installée sur les terrains du Tir aux Pigeons, cette compétition accueillera plusieurs centaines de sportives européennes dans des épreuves d’athlétisme, saut, lancer de poids ou même de natation.

La fin du règne d’Albert Ier sera d’ailleurs placée sous le signe des anneaux. En 1920, à Anvers (Belgique), Joseph Crovetto, Louis Radino, Michel Porasso, Gaston Médecin, Émile Barral et Edmond Médecin marquent l’histoire du pays en devenant les premiers représentants de Monaco aux Jeux Olympiques. La concrétisation du travail du Comte Albert Gautier-Vignal, président du Comité Olympique Monégasque qu’il contribue à créer en 1907. C’est lui également qui permet à la Principauté de devenir l’année suivante la 25e nation représentée au sein du Comité International Olympique, avec le soutien, bien sûr, du Prince Albert Ier. « Celui-ci, créateur en 1903 de l’Institut International de la Paix – véritable ancêtre de la Société des Nations et de l’O.N.U. -, humaniste et scientifique de grand renom, ne peut qu’adhérer aux grandes idées de l’olympisme », rappelle Yolande Blanc-Chabaud dans son ouvrage. Le début d’une belle aventure que ses héritiers continuent avec la même passion aujourd’hui.

AURORE TEODORO

*  De nombreux événements seront organisés toute l’année dans le cadre des commémorations du centenaire de la disparition du trisaïeul du Souverain. Conférences, colloques, événements, expositions ou spectacles… un programme riche a été ainsi prévu par le Comité Albert Ier. A noter, l’exposition sur « La Belle Epoque sportive : rayonnement et innovations sous le règne d’Albert Ier » qui se tiendra du 15 mars au 10 avril, Quai Antoine-Ier. Reporté en raison de la situation sanitaire, le colloque multidisciplinaire sur « Les carrières d’un prince. Vies et territoires d’Albert Ier de Monaco (1848-1922) » est désormais prévu le 24 septembre. Un programme à retrouver sur ce site.
Bibliographie : Yolande Blanc-Chabaud, « Monaco : naissance d’une vocation sportive : 1862 – 1939 », Edité par Sportel Organisation, 1999. Claude-Aline Encenas, Annales Monégasques, article « Honneur et persévérance, le développement sportif en Principauté de Monaco », 2004. Alain Manigley, »Comité Olympique Monégasque, un siècle d’histoire », Edité par le Comité Olympique Monégasque, 2010. Jacques Candusso, « L’athlétisme à Monaco, 1890-1906 » Edité par la Fédération monégasque d’athlétisme, 2000. Robert Prat, « Un siècle d’escrime en Principauté de Monaco », Edité par le Comité Olympique Monégasque, 1989

Publié le 29 Mar. 07:55