Entraîneur, préparateurs physique et mental, kiné… Tous ces corps sont nécessaires à la construction d’un sportif de haut niveau. Mais rien ne remplace la famille, les bras d’un père, les caresses d’une mère, les tendres liens d’une sœur. Bien que recomposée, la Team Zeghdar est unie par le sang, l’amour et le bonheur. Rencontre avec Salim, le papa.
Pouvez-vous nous raconter le déroulé de la journée du 27 juillet ?
C’était une journée exceptionnelle qu’on n’oubliera jamais. Nous étions montés à Paris pour suivre Antoine. Après les matchs du mercredi et du jeudi, j’étais rentré travailler le vendredi, puis je suis remonté très tôt le samedi matin. La compétition débutait à 15 heures, mais dès le matin, on ressentait une montée de stress mêlée d’excitation. Antoine et moi étions constamment en contact. Il était nerveux au téléphone. Pour la première fois, il se rendait vraiment compte qu’ils étaient « médaillables ». Avant, c’était juste un rêve lointain, mais là, à chaque match, ils montaient en puissance. Ce samedi, ils affrontaient l’Afrique du Sud en demi-finale, puis les Fidji en finale. Antoine était bien, un peu stressé, ce qui est normal. Je ne me rendais pas compte de l’ampleur de la pression jusqu’à ce que j’arrive au stade. C’était incroyable : 80 000 spectateurs, toutes derrière l’équipe de France. Quand ils ont présenté l’équipe, autant de personnes ont crié le nom de mon fils. À ce moment-là, je me suis dit : « Aujourd’hui, c’est du bonus. » Ils avaient atteint un niveau exceptionnel. Toute la famille était là : mon ex-femme, son mari, ma femme, ma fille, des amis d’enfance d’Antoine… Nous formions un petit clan, tous avec des maillots floqués du nom « Zeghdar ». En entrant dans le stade, l’ambiance était à la fois festive et solennelle. On prenait conscience de l’importance de l’événement. Tout au long de la journée, je recevais des messages de soutien de partout, et je répondais au fur et à mesure. J’envoyais aussi des textos à Antoine : « Joue comme tu en as envie, fais-toi plaisir, fais ce que tu sens. » À un moment, alors que je faisais la queue pour acheter à boire, j’ai entendu des gens parler d’Antoine, disant qu’ils le découvraient et qu’il était déjà « un mec majeur ». Je ne pouvais pas m’empêcher d’intervenir pour leur dire que j’étais son père ! Ils m’ont félicité. C’était un moment particulier, riche en émotions., On était là pour soutenir Antoine et son équipe, avec l’espoir qu’ils décrochent l’or. Et moi, j’étais confiant. J’avais accueilli une partie de l’équipe à la maison pour l’anniversaire d’Antoine, je les ai vus tous ensemble pendant un week-end et j’ai senti une très grande complicité. Je l’avais dit à Antoine et à beaucoup de gens : « Vous allez faire une médaille d’or. »
Quel a été votre ressenti à 20h08 ?
À 20h08, la tension était à son comble. Après la victoire contre l’Afrique du Sud en demi-finale, on savait qu’ils seraient sur le podium, mais on voulait l’or. Antoine m’avait envoyé un message quelques heures avant la finale, me disant : « Papa, je suis stressé. Tu te rends compte, les Fidji, ce n’est pas simple. » Je lui ai répondu : « Rien n’est impossible. » Le matin, je lui avais écrit : « Mon Toinou, ça y est, c’est le grand jour. Nous sommes tous avec toi et fiers de toi. Bravo pour ce que tu es, pour tout ce que tu as fait pour en arriver là. Joue comme tu aimes, fais-toi plaisir, car vous allez être portés par des millions de fans. Je t’aime. » Il m’avait répondu : « Merci Papa, sûrement l’un des jours les plus importants de ma vie. Merci d’être là pour me soutenir. On va y arriver. Je t’aime. » Quand la finale a commencé, nous étions tous debout, à chanter. Je voulais que mon fils nous voie, alors j’ai décidé de descendre vers la barrière. Je me suis heurté à un vigile qui ne voulait pas nous laisser passer. Je lui ai expliqué : « Je suis le papa d’un joueur qui vient de gagner. Je veux juste serrer mon fils dans mes bras. » Il a fini par nous laisser passer. Antoine nous avait envoyé une photo émouvante, prise quatre ans plus tôt lors des TQO à Monaco, où ils avaient perdu en finale contre l’Irlande. Il était inconsolable. C’était la première fois que je voyais mon fils effondré. À ce moment-là, je lui avais dit : « Oh ! Personne n’est mort ! » mais il m’avait répondu : « Tu ne comprends pas. » Quatre ans plus tard, il était dans nos bras, avec une médaille d’or autour du cou. Quand ils ont gagné, c’était l’explosion de joie. Je n’ai jamais ressenti autant d’émotion. Voir mon fils aussi heureux, avec toute la famille autour, c’était magique. Même après le match, les gens ne voulaient pas quitter le stade. On nous a finalement demandé de sortir, mais l’euphorie était totale.
« Cette médaille d’or a été un moment incroyable pour nous tous : beaucoup d’émotion, de joie, de larmes de bonheur et surtout une grande fierté ! On pense à tout ce chemin parcouru depuis des années, tout ce travail, cet engagement, ces sacrifices… Ça en valait la peine ! Champion olympique, c’est magique ! » Virginie Lavagna, la maman
Peut-on dire qu’une petite part de cette médaille vous revient, ainsi qu’à sa maman, Virginie ?
Je dirais que cette médaille revient à toute la famille. Antoine est arrivé dans le rugby par hasard. Il faisait du judo, mais ne se sentait pas bien. Un jour, ses copains lui ont parlé d’une journée portes ouvertes à l’AS Monaco Rugby. Il a essayé et a tout de suite accroché. Peu de temps après, l’ASPTT Nice nous a contactés pour le recruter. Antoine était motivé, alors on s’est organisé avec sa mère pour l’accompagner à Nice chaque semaine. À 14 ans, il m’a dit qu’il voulait entrer au pôle espoir à Hyères. Il a dû surmonter de nombreuses difficultés, mais il n’a jamais lâché. Nous l’avons toujours soutenu, que ce soit pour les matches en France ou à l’étranger avec l’équipe de France. On allait passer la journée dans le Var pour le motiver quand il en avait besoin. Il a connu des moments de doute, des moments de fatigue, mais il a persévéré. Quand il m’a appelé pour dire qu’il avait une « fracture mentale » et qu’il voulait rentrer à la maison, je lui ai proposé d’arrêter, mais il a refusé. J’ai insisté pour qu’il continue, malgré les difficultés, et il a appris à combattre. Il regardait ses copains sortir, profiter de la vie, tandis que lui restait sérieux en pensant à la carrière qui l’attendait. C’est grâce à cette persévérance qu’il en est là aujourd’hui, avec une médaille d’or autour du cou. Preuve que le travail paie.
Dès le début de sa carrière, Antoine obtient le Graal. Comment continuer à rêver ?
Antoine a déjà un parcours impressionnant : deux fois champion de France, champion d’Europe, champion du monde avec les U20, finaliste du Top 14, et maintenant une médaille d’or aux Jeux olympiques. Mais ce qui est beau, c’est qu’il a encore faim. Son prochain objectif est de revenir au XV et de remporter la Coupe du monde avec l’équipe de France. Dans notre famille, on a toujours visé très haut. On marche par objectifs. J’ai toujours dit à mes enfants que rien n’était inatteignable. Antoine continue de se fixer des objectifs et de travailler dur pour les atteindre. Même s’il est maintenant reconnu dans la rue, il garde les pieds sur terre. Il reste concentré, continue de s’entraîner, et garde en tête qu’il y a toujours un nouveau sommet à atteindre. C’est ce qui le pousse à aller de l’avant, et c’est ce qui nous rend fiers de lui.
Propos recueillis par Jean-Marc Moreno