En tête de son Grand Prix, le poleman Charles Leclerc a vu la stratégie de Ferrari ruiner ses plans. Sergio Pérez (Red Bull) a profité de l’aubaine pour s’imposer au terme d’une course incroyable, entre les trombes d’eau qui ont retardé le départ et l’accident de Mick Schumacher (Haas).
A toutes les Cassandre qui annoncent le déclin prochain du Grand Prix de Monaco, la cuvée 2022 est leur réponse. Sujet d’une intense discussion entre l’ACM et Liberty Media, promoteur de la Formule 1, pour une prolongation dans le calendrier international, l’épreuve de la Principauté, présentée comme une longue procession, s’est rebellée.
Pour sa 79e édition, elle a envoyé valser les certitudes et gommé tous les scénarios écrits à l’avance. On ne malmène pas une légende. Elle s’est encore refusée au héros local, n°2 du championnat des pilotes après sept manches.
Pourtant, comme l’an dernier, Charles Leclerc a signé la pole. Sa quatorzième en carrière. Cette fois, pas de dégâts rédhibitoires sur la monoplace rouge pour l’empêcher de s’envoler en tête à Sainte Dévote et livrer la bataille du rail que tout le monde attendait depuis si longtemps.
Les terrasses, les yachts et les tribunes, pleines pour la première fois depuis 2019, ne demandaient qu’à s’enflammer. Mais la stratégie hasardeuse de Ferrari l’a privé d’un premier couronnement à domicile qui aurait ressemblé à une rédemption après tant de malheurs sur le circuit de son pays.
En 2019, son écurie ne l’avait pas renvoyé en piste en qualifications et il avait hérité d’une piteuse 16e place sur la grille de départ. Sa remontée impossible s’était conclue dans les rails de La Rascasse.
En 2021, sa monoplace n’avait pas été totalement vérifiée après le crash du samedi après-midi. Le tour de mise en grille avait sonné le glas de ses ambitions.
Pluie torrentielle
Dans la semaine du Grand Prix, Charles Leclerc avait évoqué, pour la presse locale dont Code Sport Monaco, le goût d’inachevé que lui laissait l’épreuve à la maison : « C’est vrai que quand je me retourne sur les dernières courses, je n’ai pas eu énormément de chance. Mais je ne crois pas en la malchance. En revanche, je crois beaucoup en l’équilibre dans la vie. Je suis sûr que toutes les années de malchance m’offriront de meilleures opportunités dans le futur. J’espère que la situation s’inversera dès cette année. »
Le Monégasque a joint les actes aux mots. Impérial et concentré, il n’a commis aucune erreur sur le week-end. En tête des entraînements 1 et 2. Deuxième de la troisième séance d’essais pour 31 petits millièmes. Pole position conquise dès son premier run grâce à un chrono canon de 1’11 »376. Son coéquipier Carlos Sainz relégué à 0 »225.
Sa dernière tentative s’annonçait magistrale, probablement en 1’10 et des brouettes. Mais un crash de Sergio Pérez (Red Bull) au Portier a prématurément mis un terme aux qualifications. On se disait alors que le mauvais sort était conjuré. Que personne ne pourrait entraver la route du succès emprunté par le Petit Prince.
Personne, sauf une pluie torrentielle qui a douché ses espoirs et l’enthousiasme de la Principauté. On la sentait venir. Tellement bien que la question avait été posée à Charles Leclerc en conférence de presse : « Qu’il fasse beau ou qu’il pleuve, ça m’est égal. »
Dimanche matin, les météorologues évaluaient à 30 % le risque de pluie. Il suffisait de lever la tête pour observer une mer de nuages noirs qui provenaient de la Tête de Chien et de la frontière italienne.
Un ciel gorgé d’eau qui attendit que l’hymne monégasque soit joué pour déverser des litres sur le pays. Festival d’erreurs pour Ferrari Deux tours de formation derrière la voiture de sécurité. Piste détrempée. Drapeau rouge. Tout le monde rentre. Bonne décision de la direction de course. Les spectateurs se réfugient sous les tribunes.
Les stars (Zinédine Zidane, Jonathan Cohen, Phil Foden, Mason Mount, Conor McGregor…) assistent depuis les garages des écuries au ballet des monoplaces et des mécanos dans la voie des stands. Retard. Attente. Dix minutes. Puis vingt. Finalement une heure. Sur le port, les yachts mettent l’ambiance. Muni de pancho en plastique, le public reprend à tue-tête I Gotta Feeling des Black Eyed Peas.
Chez Ferrari, l’heure n’est pas à la fête. Dans la tête des dirigeants transalpins, les pensées se bousculent. Bien gérer le départ lancé sur un circuit qui ne pardonne aucun écart. Ne surtout pas se tromper dans les décisions. Mais c’est bien dans ce domaine que le bât blesse. En s’emmêlant les stylos dans la stratégie, l’écurie au cheval cabré a torpillé les espoirs de victoire de Charles Leclerc.
A contre-courant, les cerveaux italiens ont été renvoyés à leurs chères études par ceux de Red Bull. En deux temps. Un undercut agressif de Sergio Pérez au 16e tour pour troquer les pneus maxi-pluie pour des intermédiaires provoque la même réaction chez Ferrari deux boucles plus tard. Manifestement une de trop. Solide leader du Grand Prix, Charles Leclerc ressortait alors derrière le Mexicain.
De mouton, la Scuderia se rêvait berger. Elle prit alors les devants pour le second arrêt. La piste séchait. Il fallait chausser des slicks. De la gomme Dur, pour tenir toute la course. Encore manqué : Carlos Sainz et le Monégasque étaient appelés aux stands en même temps, au 21e tour. Furieux à la radio, ce dernier a perdu un temps précieux à cause de cet imbroglio. Il rétrogradait même en quatrième position, derrière Max Verstappen (Red Bull).
Le quatuor de tête ne bougeait plus jusqu’au franchissement du drapeau à damiers après 64 des 78 tours initialement prévus.
Pérez opportuniste
« J’ai fait tout ce qu’il fallait depuis le début de la course, pestait Charles Leclerc. Tout était super brouillon. Il faut qu’on soit aussi bon ici qu’ailleurs, et on ne l’était clairement pas. Il ne faut pas que cela arrive trop souvent dans une année, parce qu’aujourd’hui, on avait tout pour gagner, et on a foutu la victoire à la poubelle. » « On ne peut pas avoir un poleman au volant de la voiture la plus rapide qui finit quatrième. On aurait dû gagner, mais nous avons commis des erreurs », convenait Mattia Binotto, le patron de la Scuderia Ferrari.
Parti quatrième, Sergio Pérez s’est montré opportuniste et a empoché le jackpot. Une belle histoire. Fin 2020, le Mexicain se retrouvait sans volant. Chassé par Racing Point malgré son premier succès en F1 (et celui de son écurie), il avait trouvé refuge chez Red Bull.
« C’est important pour moi de gagner sur un circuit historique comme Monaco. C’est un rêve qui devient réalité. Après votre course à domicile, c’est l’endroit où vous avez le plus envie de gagner », savourait-il. Le voilà désormais avec trois victoires dans la catégorie reine du sport automobile et troisième du championnat du monde 2022 (110 points), derrière Max Verstappen (125) et Charles Leclerc (116).
Certes, le Monégasque a enfin vu l’arrivée de son Grand Prix pour la première fois depuis ses débuts en monoplaces. Certes, il a terminé au pied du podium une course perturbée par le crash effroyable de Mick Schumacher (Haas), la voiture ciselée en deux à la sortie des esses de la piscine. Il n’empêche que la sensation d’inachevé est toujours aussi prégnante. « Ça fait très mal », a-t-il partagé sur ses réseaux sociaux.
Une lueur d’espoir, peut-être, pour le petit prince de la F1 : Ayrton Senna, son idole, a attendu une huitième participation pour gagner devant les siens au Brésil. La patience, c’est le prix à payer pour séduire une vieille dame comme Monaco et ses 93 ans d’histoire qui valent plus que tous les dollars du monde.