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Romain Cannone : « Croire en soi, cela vaut de l’or »

L’épéiste français a débloqué le compteur de l’équipe de France à Tokyo en remportant l’or olympique. Il était à Sportel pour évoquer la suite de sa carrière et sa nouvelle vie, même s’il assure ne rien avoir changé à sa façon d’être.

Comment allez-vous, deux mois après les Jeux olympiques ?

Je vais bien, merci. Je redescends lentement de mon petit nuage. Les entraînements ont repris en septembre, les compétitions ne vont pas tarder. Je m’envole tôt demain matin (mercredi dernier) pour notre premier circuit national (il l’a remporté à Livry-Gargan).

Votre été doré vous a donné une certaine notoriété en France. Comment abordez-vous ce nouveau statut ?

C’est la raison pour laquelle je suis à Sportel ! (Il rit) C’est sympa. On se sent un peu comme une star. Des évènements dans les clubs avec des jeunes sont également organisés et j’adore ça. On ressent l’engouement dans ces réunions. Ils débutent dans l’escrime car ils t’ont vu à la télévision, veulent absolument te parler et ne posent pas les mêmes types de questions que les journalistes.

A leur âge, auriez-vous aimé recevoir la visite de champions olympiques pour vous montrer la voie ?

C’est une bonne question. J’ai commencé l’escrime par hasard à 12 ans. J’avais testé une multitude de sports, sans réellement accrocher. Je faisais du baby-sitting pour ma cousine et au lieu de rester assis sur le banc comme le font les parents, j’ai voulu essayer. Si j’avais suivi la réussite d’un escrimeur à la télé et qu’il était venu dans la salle, je l’aurais perçu comme un Dieu avant de me rendre compte que c’est une personne normale comme vous et moi. C’est pourquoi ces réunions sont très importantes : les jeunes prennent conscience qu’ils peuvent eux aussi réussir, que ce n’est pas un acte surhumain.

Quelle est la nature de vos échanges ?

Je partage mon expérience, je sens que ça les aide. Un jeune de 14 ans est stressé quand il se rend en compétition. Certains doivent même gérer les parents qui se muent en « entraîneurs » ! Je leur donne des petites astuces qui ont mis du temps à faire sens chez moi, pour qu’ils avancent plus rapidement. C’est super enrichissant pour les deux parties. Je veux montrer le chemin à ceux qui sont intéressés. Je limite mes évènements car ma saison et Paris 2024 sont mes objectifs, mais quand j’ai un peu de temps libre le week-end, je me rends dans les clubs. C’est quelque chose que tout sportif devrait faire.

Ces sollicitations, c’est le plus grand changement dans votre vie ?

A vrai dire, je ne sens pas un énorme bouleversement. Peut-être parce que je ne le veux pas… Je n’ai pas envie de changer quelque chose qui gagne. Je vis mes journées au même rythme qu’avant, entre la fin de mon mémoire, le retour à l’école et la reprise des entraînements. Je retrouve ma routine pour ne pas me sentir pousser des ailes et me prendre pour quelqu’un que je ne suis pas. Je sais qui je suis.

Et si votre point fort était finalement votre fraîcheur ?

Oui, je le pense vraiment. J’ai remporté l’or olympique en restant moi-même, pourquoi je changerais ? Je ne dois pas changer de voie.

Dans quel état d’esprit étiez-vous lorsque vous avez entamé votre journée de compétition ?

Je me disais que ce n’est pas tous les jours que l’on se retrouve aux Jeux et que je devais profiter de l’instant, que c’était peut-être l’unique chance de ma vie. Si je devais résumer cette pensée, ce serait : « Kiffe et montre vraiment qui tu es, ce que tu veux. » J’ai réussi le plus dur : être au rendez-vous. Pourtant, les médias insistent souvent sur le fait que je n’étais pas attendu.

Comment le prenez-vous ?

Cela ne me dérange pas, l’histoire est encore plus belle ainsi. Mais si on participe aux Jeux, titulaire ou remplaçant, c’est qu’on fait partie des meilleurs mondiaux. Et, en escrime, tout le monde a une chance de s’imposer. Le mental joue un rôle essentiel, il est nécessaire pour vaincre l’évènement. Croire en moi durant cette compétition m’a donné beaucoup de maturité.

C’est le plus concentré qui gagne ?

En quelque sorte. Le gros du travail a été fait en amont : préparation physique, entraînements… Alors, le jour de la compétition, seul le mental peut te permettre de décrocher la victoire. Tu dois croire en toi et montrer le feu qui t’anime. Cela ne te donnera peut-être pas une médaille d’or mais, au moins, tu montreras ton vrai niveau. Cela vaut de l’or, c’est presque une victoire.

Le dernier titre olympique de la France à l’épée remonte à Barcelone 1992 et Eric Srecki. La fierté est-elle double d’avoir mis fin à 29 ans d’attente ?

Forcément. J’ai eu la chance de rencontrer Eric et de discuter avec lui à mon retour de Tokyo. Il me racontait qu’il a souvent remporté des compétitions sans être à l’aise et sans prendre de plaisir. C’est dur d’être heureux dans ces moments alors que tu t’entraînes 4 à 5 heures par jour, mais Eric m’a dit qu’il avait senti mon bonheur à travers l’écran. Cela m’a fait chaud au cœur. Lui succéder et inscrire mon nom dans l’escrime français, c’est une grosse fierté.

Vous avez débuté à Manhattan. Comment est perçu l’escrime aux Etats-Unis ?

Là-bas, c’est un business. Pour pratiquer, il faut s’inscrire dans des clubs privés. Vu la somme à débourser, on sait pourquoi on s’entraîne : il faut être très vite performant. En France, c’est une association, le sport ne coûte pas très cher et on en fait plus pour s’amuser. Mais ce qui joue en notre faveur ici, c’est qu’il y a une transmission du savoir-faire. Les anciens veulent voir les jeunes progresser. Il y a une histoire de l’escrime chez nous. On voit chaque année des entraîneurs français partir à l’étranger. Ce n’est pas étonnant que le niveau mondial augmente, notamment du côté de l’Asie !

Votre premier entraîneur était un Ukrainien nommé Misha Mokretsov. Comment a-t-il réagi à votre succès ?

Il m’a révélé que c’était l’un des plus beaux jours de sa vie. Il tenait un camp pour les jeunes de son club et ils étaient tous réveillés pour suivre le match. Je ne l’ai plus vu depuis mon retour en France, il y a sept ans. Ses mots étaient très touchants et prouvent qu’il était extrêmement fier. Il a toujours cru en moi.

Avez-vous prévu de lui rendre visite avec la médaille ?

Il faut déjà que je trouve le temps ! (Il rit) J’espère pouvoir organiser une rencontre l’été prochain. J’aurai un peu plus de temps. Je n’ai eu que deux semaines de vacances avant de reprendre les entraînements et notre saison s’étend jusqu’à juillet prochain. Je compte bien retourner à Manhattan pour les vacances. J’en profiterai pour voir tout le monde. J’aurai l’impression de retrouver la famille.

Propos recueillis par Jérémie Bernigole-Stroh

Publié le 13 Oct. 10:02