L’émotion est palpable quand on parle avec Sophie Vincent de judo. Il faut dire que, même si elle n’a jamais pratiqué cette discipline, l’histoire personnelle de la nouvelle présidente de la fédération monégasque est intimement liée au dojo de Monaco. « C’est une vraie histoire de famille », confirme la fille du regretté Gérard Bertrand. Une véritable figure en Principauté, lui qui fut le président du Judo Club de Monaco et de la Fédération de 1997 à 2015, après 17 ans passés au bureau.
« Et le judo à Monaco, c’est vraiment une famille. Nous sommes tous très liés, tous des bénévoles. Mon père cultivait vraiment cette culture d’entraide, de travail en équipe… Assez jeune, il m’avait associée à tout cela. J’ai toujours participé dans le cadre des événements et puis, petit à petit, je l’ai aidé sur des sujets comme la communication, l’organisation d’événements… Ma maman tient la boutique lors des tournois. On a toujours contribué un peu comme cela dans l’ombre. »
Des sentiments contradictoires
Au sein du judo monégasque, où club et fédération travaillent de concert et les instances sont composées des mêmes bénévoles, Sophie Vincent est donc loin d’être une novice. Au décès de son père en 2015, le bureau du club lui propose de les rejoindre « pour continuer l’histoire’‘. « C’est vrai que cela faisait un peu partie de la thérapie. Pouvoir garder le lien, c’était important », confie-t-elle, émue.
Pourtant, la néo-présidente confesse avoir longuement hésité avant d’accepter la tête de la Fédération, présidée depuis le décès de son père par Eric Bessi et dont elle était déjà la vice-présidente. « Cela a remué énormément de choses au niveau familial. Nous en avons longuement discuté avec ma maman. C’est une fierté, mais il y avait beaucoup de sentiments contradictoires, d’émotions et d’inquiétudes aussi. On se demande si on va être à la hauteur du travail accompli par mon père et par Eric Bessi, si l’on va y arriver aussi, parce que j’ai déjà une vie professionnelle assez riche ou encore si on a une légitimité parce qu’on n’a pas fait de judo… Ces questions, on les a abordées sans détour avec le bureau, qui a tenu bon », souligne Sophie Vincent qui sait qu’elle peut se reposer sur son équipe, cette grande famille du judo.
« J’ai fini par accepter parce que, derrière, il y a une vraie équipe. Une fédération ne tourne pas sur la base d’un président. Derrière ce dernier, le capitaine, il y a l’équipe, les joueurs. A partir du moment où tout le monde est soudé, travaille et a envie d’apporter quelque chose, cela peut fonctionner », rappelle la présidente, qui vient avec son « expérience en termes de process, de relations avec l’administration ou de communication/marketing » et sait qu’elle peut s’appuyer sur son équipe pour l’aspect judo et plus technique. « On a trouvé un bel équilibre », souligne-t-elle.
La part des femmes
Première femme à la tête de la FMJ, Sophie Vincent fait partie des rares femmes présidentes de fédération dans les institutions internationales. Il faut dire que le judo a longtemps été un sport plutôt masculin.
« Il ne se féminise que depuis quelques années, ce qui explique peut-être en partie cela. Après, pour être bénévole et membre d’une association, il faut être très organisé. Cela demande de l’investissement. Pour une femme ce n’est pas toujours facile de concilier vie personnelle, professionnelle et associative. Cela demande de la compréhension à la maison, mon mari a beaucoup de patience », reconnaît la présidente qui anticipe déjà une évolution de sa discipline dans les prochaines années, grâce notamment au beau parcours de l’équipe de France à Tokyo (championne olympique en mixte, plus cinq médailles chez les féminines, dont une d’or pour Clarisse Agbegnenou).
« Cela a montré que le judo pouvait être aussi un sport féminin. Et nous, on le voit aussi au niveau de nos compétiteurs aujourd’hui. Nous avons de très bonnes féminines, très prometteuses et investies. Si cela s’équilibre chez les pratiquants, cela arrivera aussi au niveau des boards et des comités », relève Sophie Vincent. Et quand on lui demande si l’objectif est aussi d’avoir une Monégasque porter haut les couleurs de la Principauté, la réponse se veut plus tempérée.
« Le judo a toujours été représenté aux Jeux Olympiques et dans les compétitions de haut niveau. L’objectif est de toujours y avoir un de nos sportifs. Jusqu’à aujourd’hui, ça a toujours été un garçon, si demain ça doit être une fille, c’est très bien », développe la présidente. « Nous, on veut surtout que ce représentant soit digne d’y être. Cela fait partie de nos valeurs. On n’envoie pas un judoka juste faire acte de présence mais parce qu’on pense qu’il représentera bien notre sport et la Principauté dans la compétition. C’est sa valeur, et le mérite, le travail accompli qui prime sur son genre. »
Opération séduction
Une grande tâche attend maintenant le judo monégasque. Car cet art martial a fortement été impacté par la pandémie de Covid-19. « Les sports de combat ont été parmi les premiers à arrêter et les derniers à reprendre, avec des mesures sanitaires très lourdes. Beaucoup de jeunes se sont détournés du judo et ont préféré tester des sports de plein air », souligne Sophie Vincent. Avec la levée des restrictions s’est ainsi amorcée une « phase de relance ».
« On travaille vraiment sur la formation des jeunes générations pour continuer à représenter le judo monégasque au très haut niveau. Il faut reconquérir nos pratiquants », observe la présidente, qui se veut toutefois « rassurée – mais pas confiante – parce que, petit à petit, les gens reviennent. Le 4 juin dernier, nous avons pu de nouveau organiser le Challenge Prince Albert II, notre compétition régionale poussins/benjamins, qui a eu vraiment une belle affluence. Dans la même journée, la fête du club a réuni une cinquantaine de nos jeunes venus faire une démonstration et recevoir diplômes et ceintures. Cela donne de très bons espoirs mais il faut continuer à travailler pour faire briller notre sport ».
De quoi aborder la prochaine saison avec beaucoup d’envie, d’autant que le Tournoi de judo international de Monaco, créé par son père Gérard Bertrand en 1991, devrait, lui aussi, faire son grand retour après deux ans d’absence.