Le Ministre d’Etat, Pierre Dartout, s’est livré à l’exercice de l’interview décalée. Doté d’une solide culture sportive, le haut-fonctionnaire français a évoqué l’amour qu’il porte au rugby.
J’apprécie particulièrement ces interviews décalées. Décalées car les personnalités parlent de sport et mettent de côté les fonctions professionnelles pour arborer le costume de sportif, de supporter ou tout simplement d’amoureux du sport. Avec Pierre Dartout, cette parenthèse sportive fut des plus sympathiques. Après trente minutes de débat nourri, la porte du bureau s’ouvrit, la cravate réajustée, le visage de circonstance : les affaires de chef du gouvernement reprenaient sans transition.
On vous prête une belle culture sportive. Comment êtes-vous tombé dedans ?
Je la dois en grande partie à la télévision. Lorsque j’étais enfant, il n’y avait qu’une seule chaîne sur laquelle était diffusée une émission intitulée Télé Dimanche, qui retransmettait des matches, notamment de basket et de rugby. Grâce à la télévision, j’ai toujours suivi le Tour de France, les Jeux olympiques, le Tournoi des V Nations qui s’est agrandi en 2000 avec l’intégration de l’Italie… Sinon, mon père m’a emmené très tôt dans des stades de rugby. J’y ai joué un peu, pas beaucoup. Disons que je suis un meilleur supporter que joueur ! (Il sourit)
Vous avez partagé les bancs de l’ENA avec François Hollande, un grand amateur de football, qui plus est supporter de l’AS Monaco. Vous parliez ballon rond dans la promotion Voltaire ?
C’est certain qu’il y avait plus de discussions autour du ballon rond que du ballon ovale. Une équipe de football avait été constituée dans la promotion avec François Hollande, Michel Delpuech, l’ancien préfet de police de Paris, etc, mais jamais une formation de rugby. C’était plus compliqué, il n’y avait pas les gabarits adéquats ! Mais, oui, nous parlions beaucoup de sport. Il ne faut pas voir les élèves de l’ENA comme strictement portés sur les études. Je me souviens que le lundi matin, il y avait la presse au service documentation. Et le journal que tout le monde se disputait était L’Équipe. Nous voulions tous connaître les résultats du week-end !
Quel est le joueur qui vous fait briller les yeux, celui que vous définiriez comme le GOAT ? (Greatest of all time)
Ce n’est pas une question facile… (Il réfléchit) Il y en a plusieurs. Chez les dames, Amélie Mauresmo. Chez les hommes, je peux citer quelques grands pilotes automobiles comme Ayrton Senna, des footballeurs tels Michel Platini et Zinédine Zidane, un basketteur comme Michael Jordan, que j’ai eu l’immense privilège de voir jouer à Chicago contre les Atlanta Hawks.
Pas de rugbymen ?
Je peux facilement établir une liste interminable de grands joueurs que j’ai admirés : les frères Camberabero et Spanghero ou, très récemment, comme beaucoup d’amoureux du rugby dans le monde, Antoine Dupont, demi de mêlée du XV de France et du Stade Toulousain. Un garçon extraordinaire.
Et l’évènement sportif qui vous a le plus marqué ?
Certainement la demi-finale de la Coupe du monde de rugby en 1999, lorsque la France bat la Nouvelle-Zélande (43-31). On perdra ensuite la finale contre l’Australie. Les deux matches étaient séparés d’une semaine, durant laquelle, alors préfet des Pyrénées-Orientales, je me suis rendu en Espagne. J’ai découvert un article de la presse locale très élogieux envers le XV de France qui disait, en substance : « Peut-être que les Français gagneront la Coupe, mais ce n’est pas le plus important puisqu’ils ont déjà gagné le Mondial. » J’ai trouvé cette phrase magnifique. Les Français avaient produit l’un des plus grands matches de l’Histoire.
L’actualité est marquée par le conflit russo-ukrainien, qui touche également le milieu du sport. Que pensez-vous de l’exclusion des sportifs russes des compétitions internationales, comme à Wimbledon ?
Je crois savoir que Daniil Medvedev (un des joueurs concernés par la décision du tournoi de Wimbledon) peut disputer les tournois de l’ATP en dépit de certaines restrictions. Pour le reste, on ne peut pas rendre chaque individu responsable de ce qui se passe dans son pays. De plus, on ne peut préjuger de l’information reçue par le peuple russe. Lequel se posera peut-être des questions lorsqu’il réalisera que son pays est exclu de la Coupe du monde de football.
Peace and Sport fait un fantastique travail de promotion de la paix par le sport. Cependant, il arrive que des discordances politiques se retrouvent sur le terrain comme lorsque les Etats-Unis affrontent l’Iran en Coupe du monde de football (1998 et 2022), ou que l’Argentine et l’Angleterre se rencontrent en 1986 après la guerre des Malouines… Le sport est-il le plus puissant outil politique ?
Vous pouvez également ajouter URSS – Tchécoslovaquie en hockey sur glace lors des Jeux olympiques de 1968. Pour le reste, oui, le sport peut être un puissant outil politique. Il a été utilisé à diverses reprises, mais pas toujours de façon opportune. Je fais notamment référence au boycott des Jeux de Moscou en 1980 par les Etats-Unis puis ceux de Los Angeles 1984 par l’URSS. Ces décisions furent peut-être moins faciles à comprendre. Qu’est-ce que le sport, finalement ? Un plaisir et un domaine chargé de grandes valeurs humaines. Il est tout à fait normal que le sport soit vécu comme quelque chose marqué du sceau de la paix, du bonheur et de l’émancipation des personnes. Mais un beau sport est un sport où il n’y a pas d’humiliation. Je reviens toujours au rugby, une discipline où les arbitres et les joueurs partagent une certaine complicité sur le terrain, même en cas de désaccord. Il n’y a jamais la moindre contestation lorsque l’arbitre sort un carton rouge. Dans la grande majorité des cas, le contrevenant s’incline et sort. A la fin du match, tout le monde se salue. Le public peut parfois être véhément, huer ou siffler l’arbitre. Cela ne va pas plus loin. La plupart du temps, les joueurs se congratulent et il y a quelque chose qui se passe, une amitié retrouvée.
Le football serait donc un sport de gentlemen joué par des voyous, et le rugby un sport de voyous joué par des gentlemen ?
Ça, c’est une distinction très anglaise ! (Il sourit) Les Anglo-Saxons le disent pour des raisons sociales qui n’existent pas en France. Dans l’Hexagone, le rugby est un sport de toutes les classes sociales. En Angleterre, il est connoté comme sport de l’aristocratie, des écoles privées, alors que le football est joué par tout le monde. Alors, cette distinction, c’est une image un peu trop caricaturale et surtout très anglaise.
Les olympiens monégasques ont connu beaucoup de réussite à Tokyo et à Pékin. Que devrait faire Monaco pour produire plus de sportifs, les encourager et les aider ?
Monaco, il ne faut pas l’oublier, c’est 38 000 résidents. Le fait qu’un tel territoire réussisse à produire une offre sportive aussi variée et qu’il y ait une participation olympique aussi nette est déjà formidable. Je ne suis pas sûr que nous puissions faire beaucoup plus. On a déjà, parmi les Monégasques, le prétendant au titre mondial de Formule 1, Charles Leclerc, de jeunes tennismen très performants qui ont gagné leur match de Coupe Davis, un rugbyman originaire de la Principauté en la personne d’Antoine Zeghdar… Nous produisons déjà de grands sportifs. Sans parler des deux clubs professionnels, basket et football, qui, eux, font appel à des talents extérieurs et sont soutenus par la Principauté. Je trouve que nous faisons énormément, et dans le bon sens. Monaco peut être fière de son offre sportive.
Parmi tous les évènements auxquels vous avez assisté en Principauté, lequel préférez-vous ?
Les victoires de nos basketteurs en Euroleague le 22 avril au Pirée (96-72) et le 29 avril ici à Monaco. J’ai regardé le premier à la télévision et le second à Gaston-Médecin, un de mes plus beaux souvenirs sportifs ici. J’ai aussi aimé la victoire de l’AS Monaco FC sur le Paris Saint-Germain (3-0) en mars.