Comme leur grand-père Gérard et leur oncle Philippe, Lisa (jet à bras, voile) et Coline Caussin-Battaglia (aviron) entendent bien écrire ensemble l’Histoire de Monaco en participant aux Jeux olympiques de 2028.
Réunir les remuantes soeurs Caussin-Battaglia autour d’une table pendant plus d’une heure relève de la gageure. Alors quand l’opportunité – aussi rare qu’un passage de la comète de Halley dans le ciel de la Principauté – s’est présentée, on s’est empressé de la saisir. Coline, la plus jeune, étudie la sociologie à Bordeaux quand elle ne rame pas pour Monaco en rivière, en mer ou dans des courses de Beach rowing sprint. Son aînée Lisa est une pilote émérite de jet-à-bras, exportant son talent au Koweït ou en Arabie Saoudite, théâtres principaux des championnats du monde.
Depuis 2017, l’athlète de 28 ans s’est également lancée dans la voile. Une passion héritée de son grand-père Gérard et de son oncle Philippe, tous deux olympiens monégasques en 1960 et en 1988. Les frangines rêvent, elles aussi, d’un destin olympique commun. Une fenêtre s’est ouverte pour Lisa dès 2024 à Paris. Quatre ans plus tard, elle pourrait retrouver sa rameuse de soeur en Californie, pour les Jeux olympiques de Los Angeles. En attendant, elles ont raconté leur enfance peu commune, loué l’UNSS et le Pass’Sport Culture, et répété leur fierté de représenter Monaco, leur pays.
Plusieurs familles monégasques sont impliquées dans le sport. Mais deux soeurs qui s’illustrent dans plusieurs disciplines, c’est moins courant. Comment vivez-vous cette exception ?
Lisa : Pour être honnête, je ne me suis jamais posée la question (elle regarde sa soeur).
Coline : Moi non plus… On a toujours fait les mêmes choses sans se comparer aux autres, sans se poser de questions.
L : On agit par pulsion, pas par volonté d’exister.
Ça a renforcé vos liens sororaux ?
L : Disons que si l’une des deux n’étaient pas 52 53 sportives, nous nous serions peut-être moins comprises. Pendant le confinement, je l’ai vue s’entraîner comme une damnée sur sa machine à ramer.
C : J’avais un test sur une distance de 2 000 mètres. J’ai puisé les dernières ressources en moi, je poussais même des cris tellement la souffrance était intense. Notre mère m’a prise pour une folle ! Elle ne comprenait pas pourquoi je m’acharnais sur cette machine. Si Lisa avait été derrière moi, elle aurait hurlé encore plus fort pour m’encourager.
L : Je comprends que cela puisse paraître étrange lorsqu’on porte un regard extérieur. C’était également le cas en musique. On passait des heures sur un morceau, à répéter partie par partie. Nos liens se sont renforcés ainsi, sans que l’on ne s’en rende compte.
Laquelle de vous deux a initié la bifurcation vers le sport ?
L : C’est Coline ! Elle a fait du hip-hop, de la gymnastique, de l’athlétisme…
C : (Elle coupe) J’étais trop forte en athlé !
L : Tu n’as pas fait de la spéléologie et de la plongée aussi ?
C : Oui, j’avais envie de tout tester. Un jour, une copine m’a proposé de faire un entraînement d’aviron. Elle n’est jamais venue. Moi, je suis restée.
L’envie d’explorer, c’est un trait commun ?
L : Totalement. Coline s’est investie dans l’aviron et dans le sport en général. Ce n’était pas mon cas à l’époque. C’est en découvrant le jet que j’ai ressenti ce besoin d’épanouissement dans une discipline sportive. J’étais déjà très impliquée dans le violon, le théâtre et le cirque.
A quoi ressemblait votre jeunesse ?
C : Elle était similaire à celle de plein d’enfants à Monaco. On a participé à plusieurs activités.
L : Enfin c’était quand même assez extrême.
C : Oui, c’est vrai (elle sourit). On ne mangeait pas très souvent ensemble le soir. Maman faisait du théâtre, Lisa était au cirque, moi à la musique…
L : J’ai arrêté le cirque en 5e parce que le professeur m’avait fixé un ultimatum : il voulait que j’arrête mes autres activités pour m’investir pleinement et faire carrière. (Elle s’adresse à sa soeur) Coco, tu as arrêté un an avant moi, non ?
C : Je crois, oui. J’en ai fait quatre ans. Toutes ces pratiques, c’est grâce au Pass’sport Culture et aussi à l’UNSS le mercredi.
Vous devez votre carrière à ces dispositifs ?
C : A l’Education nationale et à la Mairie qui donnent la possibilité à tous les enfants de Monaco d’essayer des sports sans avoir à prendre une licence dans les clubs.
L : Et les tarifs sont accessibles. C’est un système bien rôdé sans lequel nous n’aurions rien pu faire.
Pourquoi avez-vous persisté dans vos sports respectifs ?
C : Je n’ai pas eu de déclic ou quoi que ce soit. J’étais super nulle en aviron. Je suis restée pour l’ambiance, parce que je me faisais des amis. C’est souvent le cas lorsque tu es jeune. Ça devient un peu ta famille. J’ai fait un stage pour les accompagner. Puis un autre. Puis, comme je progressais, j’ai fait des sorties sur l’eau avec eux. Puis des compétitions. J’ai découvert l’atmosphère et j’ai eu envie d’y retourner. Comme je suis une compétitrice, j’ai persévéré.
L : Une carrière dans le jet n’était absolument pas prévue. J’ai commencé en terminale alors que je voulais faire mes études à Paris. Je n’avais pas prévenu le club, de peur d’être refusée pour si peu de temps. Après deux mois dans la capitale, j’ai craqué. Ma famille me manquait, comme la mer et mes activités. Je me suis rendue compte que le jet avait pris une énorme place dans ma vie. En un an, j’avais découvert l’entraînement, le dépassement de soi. J’explorais une partie inconnue en moi.
Et pour la voile ?
L : En septembre 2017, je cherchais un sport complémentaire au jet, où il fallait composer avec les conditions météorologiques. Je me suis renseignée auprès du Yacht Club. On m’a parlé de bateaux à huit, mais ce n’était pas possible pour moi. J’aime l’esprit de groupe, mais je suis solitaire de nature. En cas d’échec, je ne veux en vouloir qu’à moi-même. On m’a alors proposé un autre projet, qui me correspondait mieux.
Faire le sport de l’autre, c’était inimaginable ?
L : L’aviron comporte trop de contraintes au quotidien à mes yeux. Coline, en revanche, a fait du jet pendant un an.
C : Je devais couper avec l’aviron pendant quelque temps. Je me suis réfugiée avec Lisa et Michel (Torre, l’entraîneur du Roca Jet Club).
L : Mais son coeur battait pour l’aviron. Elle avait ouvert cette parenthèse par dépit.
C : C’était cool, l’ambiance était sympa. Je me souviens d’une sortie à deux durant laquelle on s’entraînait à prendre des virages. Je suis tombée et le jet a continué sa course. Un bateau de croisière arrivait. Je voyais cet énorme navire fondre sur moi, je hurlais. Je croyais vivre mes derniers instants quand Lisa est arrivée en mode sauveuse et m’a traîné jusqu’à ma machine…
L : On en a vécu des aventures ! (Elles rient)
Comment vivez-vous vos succès ?
C : Je suis fière de ce qu’elle accomplit dans sa carrière et pour son sport. Lisa est très populaire à Monaco. J’ai l’impression que tout le monde la connait. Elle est sur tous les fronts. Elle a même disputé le World Stars Football Match avant le Grand Prix de Monaco avec des légendes du sport ! Bon, on ne parlera pas de sa prestation…
L : (Elle rit) J’essaie de l’oublier.
C : Elle a aussi participé au Riviera Water Bike Challenge. C’est incroyable de la voir impliquée dans de tels évènements. Notre famille est connue grâce à Lisa !
L : Je suis très fière de Coline. Elle fait beaucoup de sacrifices pour concilier sa carrière et ses études. Elle n’a pas choisi la discipline la plus facile. Il faut être motivée et solide mentalement pour s’entraîner par tous les temps, tous les jours. (Elle regarde sa soeur) C’est marrant, car on s’écrit très rarement. Notre mère se charge de raconter les péripéties de l’autre. (Elle l’imite) « Tu sais que Coline a fait ça ? Mais il s’est passé ça aussi ! »
C : Notre mère est au taquet sur Instagram. Elle est seulement abonnée aux comptes qui nous concernent directement. Ce qui fait qu’elle est plus au courant de notre actualité que nous ! (Les deux éclatent de rire)
Vos parents parviennent-ils encore à vous suivre dans toutes vos activités ?
C : Maman est au bord de la crise de tachycardie.
L : Elle essaie d’être à la pointe de l’info, alors que notre père est un peu plus passif…
C : Il est venu me soutenir aux championnats de France de beach rowing. Il s’est fait un ami sur place et n’est même pas venu me voir sur le podium. (Elle éclate de rire)
L : Papa nous a toujours soutenues, mais il ne « comprend pas » la compétition.
C : Ça ne l’empêche pas d’être ultra fier de nous.
L : Mais le concept de compétition lui est étranger, contrairement à maman. C’est quelque chose qu’elle aurait toujours voulu faire. Elle vit notre carrière.
C : Elle est tellement investie qu’elle stresse plus que nous. Je lui ai déjà demandé de ne pas venir me voir sur certaines compétitions. Elle essaie de ne pas montrer son stress, mais on le sent quand même. Tu finis par avoir peur de la décevoir. Une fois, elle a filmé une de mes finales, j’entendais ses commentaires, c’était trop marrant !
Qu’est-ce qui vous stresse le plus : ne pas décevoir votre mère ou représenter Monaco sur la scène internationale ?
C : Je suis fière de représenter mon pays, mais ça m’attriste quand je ne fais pas aussi bien que j’aimerais. Aux championnats du monde de beach rowing, au Portugal, je me fais éliminer pour une erreur débile. Je termine dans les dernières et je me sens trop mal. J’ai à coeur de bien représenter mon pays, de montrer qu’on est peu mais qu’on se défonce pour la Principauté, qu’on se donne les moyens comme Quentin (Antognelli) dernièrement.
L : Je suis trop fière de porter les couleurs de mon pays. Notre famille est monégasque depuis des générations. Notre arrière-arrière-grand-oncle, Louis Abbiate, est le fondateur de l’Académie de musique Rainier III. Notre grand-père Gérard et notre oncle Philippe ont participé aux épreuves de voile aux Jeux olympiques de 1960 et de 1988. Coline et moi nous sommes toujours entraînées à Monaco. Nous avons toutes les deux la chance de pratiquer un sport qui existe en Principauté, que l’on exerce dans ses eaux. Nous sommes des produits bruts. C’est ma fierté. Alors, quand je représente Monaco, je le fais avec tout mon coeur.
Les Jeux olympiques sont dans un coin de votre tête ?
L : Oui.
C : On en parle souvent.
L : Les JO revêtent une importance capitale à Monaco. On en est conscientes. Deux places supplémentaires en voile féminine ont été attribuées à Monaco pour Paris 2024 car le pays n’a jamais envoyé de participantes. Ce ne sont pas des wild-cards. Il faudra passer par les qualifications et gagner sa place. C’est une belle opportunité qui s’offre à moi. J’espère la saisir pour prendre de l’expérience en vue de Los Angeles 2028.
C : Participer aux JO serait une sorte d’aboutissement. Le beach rowing sprint devrait entrer au programme en 2028. Je pourrai même viser une qualification en rivière puisque la distance passera de 2 000 à 1 500 mètres.
Avoir deux Caussin-Battaglia à Los Angeles, ce serait…
L : Énorme.
C : Il n’y a pas d’autre mot.
Comment réagirait votre mère ?
C : Je suis sûre qu’elle a déjà réfléchi à qui confier le chien !
L : Elle pleurerait pendant trois jours, le temps de s’en remettre. Mais nous aussi, je crois.