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Margo Mountjoy: « It’s ok not to be ok »

Ancienne nageuse artistique internationale, la Canadienne Margo Mountjoy est depuis plus de trente ans docteur en médecine sportive. Membre de la commission médicale du CIO (groupe Jeux) depuis 2005 et active dans plusieurs organisations sportives internationales dont la Fédération internationale de natation (FINA) et l’Agence mondiale antidopage, elle a fait de la prévention des blessures et des maladies, et tout particulièrement du bien-être et de la lutte contre le harcèlement et des abus dans le sport, l’un de ses chevaux de bataille.

La question de la santé mentale des athlètes n’est que très récente. Pourquoi ?

Ces problèmes chez les athlètes existent depuis toujours. Alors pourquoi maintenant ? Je pense que beaucoup d’entre nous dans le monde du sport ont vu qu’il y avait un problème, ont attiré l’attention sur celui-ci et souhaitent faire quelque chose. Au sein de la société, les mentalités ont aussi évolué, de même que la stigmatisation de la santé mentale, principal frein à la recherche d’aide. Les gens expriment davantage ce besoin. Les athlètes l’ont constaté et ont eux aussi commencé à en parler, à l’image de Simone Biles ou Naomi Osaka …

Cette dernière a pourtant été très critiquée lorsqu’elle a refusé de se prêter au jeu des interviews à Roland-Garros…

Les athlètes peuvent avoir des super pouvoirs sur le terrain, être plus forts physiquement, aller plus haut et plus vite que d’autres individus mais ils restent d’abord des êtres humains. Pour moi, Naomi Osaka n’est pas une enfant gâtée mais une femme très forte, parce qu’on ne peut avoir un tel niveau dans le tennis sans l’être. Et il faut aussi être fort pour s’affirmer et dire : « J’ai besoin de m’occuper de moi. » Beaucoup de sportifs de haut niveau se sont levés pour défendre leur santé mentale. Et en racontant leur histoire, ils permettent aux autres d’avoir la force de s’exprimer. Et je pense que c’est l’une des citations de Naomi Osaka et de Michael Phelps : « On peut ne pas aller bien et demander de l’aide. » Il faut briser les stigmates, les barrières pour les athlètes. Est-ce ce mouvement qui a incité le CIO à s’intéresser à ce thème ? Au Forum international des athlètes, la santé mentale fut le sujet le plus suivi et abordé. Le Président Bach a écouté les sportifs et a dit : « Ok, ils veulent de l’aide, que pouvons-nous faire pour les aider ? » C’est à peu près au même moment que nous avons organisé le consensus sur la santé mentale qui a passé en revue les données scientifiques. C’était un début, mais un début très important, parce qu’il nous a permis de publier toutes les données scientifiques existantes de manière concise et d’identifier les domaines sur lesquels nous devions creuser davantage. Un groupe de travail a ensuite été mis sur pied, et ses membres peuvent maintenant travailler sur la transmission des connaissances, c’est-à-dire la transcription de cette science en actions afin que les instances sportives puissent la mettre en œuvre, pour former les entraîneurs, pour le soutien des athlètes…

Le CIO peut-il s’imposer comme un leader sur ce thème ?

Le CIO est un leader puissant dans le monde du sport et il a un rôle clé à jouer pour mettre en avant ce sujet. Et je pense que c’est ce que nous faisons à travers le programme Athlete 365. Cette « boîte à outil », téléchargeable gratuitement sur son site, s’adresse à la fois à l’entraîneur et à l’athlète. C’est un outil destiné aux organisations sportives pour leur permettre d’augmenter l’accès aux soins, de diminuer la toxicité de l’environnement, de comprendre le contexte. Et il peut être appliqué à n’importe quelle organisation.

Quels sont les principaux facteurs de stress chez les athlètes ?

Un individu lambda doit gérer le travail, l’équilibre de sa vie, les finances, les problèmes relationnels. Un sportif doit lui aussi gérer tout cela – ce qui est déjà beaucoup pour pas mal de monde – mais en plus, il doit faire face à l’entraînement, à ses coaches, aux compétitions, aux voyages, au fardeau financier de l’entraînement et tout ce qui va autour. De plus, il peut aussi exister un environnement sportif toxique qui génère un stress mental important. Cela a un effet cumulatif sur la pression psychologique de l’athlète. Les dernières années ont d’ailleurs été émaillées de nombreux scandales… Les athlètes sont vulnérables dans les organisations sportives. Dans certaines d’entre elles, ils n’ont pas la possibilité de s’exprimer au niveau de la direction. C’est dans ces cas-là que les problèmes peuvent survenir. Il existe souvent un déséquilibre de pouvoir entre entraîneur et athlète. Ces derniers ont besoin du coach pour s’entraîner, être sélectionnés… Aujourd’hui, pour moi, les organisations doivent donner la priorité aux sportifs. Leurs voix doivent être représentées dans les instances dirigeantes.

Comment soutenir et accompagner les athlètes ?

Il est impossible d’empêcher les troubles mentaux chez l’être humain, certains présentant inévitablement des symptômes, en particulier dans cette tranche d’âge. Le pourcentage de dépression et d’anxiété chez les athlètes est à peu près le même que celui de la population générale. Mais nous pouvons mettre en place des choses, notamment en leur offrant un certain équilibre. Qu’ils puissent décompresser ou développer des mécanismes d’adaptation et des stratégies pour se sentir bien. Nous pouvons également nous assurer que lors des déplacements, le sportif ait suffisamment de temps pour se remettre du voyage, que le programme de la compétition ne soit pas trop chargé, et qu’à destination, il ait des conditions de sommeil et une alimentation saines. Il faut également veiller à ce qu’en compétition il ait suffisamment de temps pour récupérer mentalement et physiquement, et à mettre en place un soutien et des systèmes en cas de problème (absence de performance, de médailles, blessures…). Il faut donc réduire cette stigmatisation pour que les sportifs osent demander du soutien, augmenter le nombre de personnes pouvant identifier ce besoin et s’assurer que l’aide est disponible et accessible. Et, autre point très important, il faut s’assurer que leur environnement soit exempt de harcèlement et d’abus. Nous savons très bien que ceux-ci – qui peuvent être psychologiques, physiques, sexuels ou relever de la négligence – sont très susceptibles d’avoir un impact sur la santé mentale, et potentiellement sur le long terme. La prévention du harcèlement et des abus est une responsabilité qui nous incombe à tous dans le sport.

A Tokyo, des cliniques avaient été mises en place ?

Le village olympique avait un petit hôpital avec un chirurgien orthopédique, des services d’urgence et de médecine interne mais aussi des spécialistes de la santé mentale, pour ceux qui ne disposaient pas de ce soutien dans leur équipe. Nous avions également mis en place un programme de sensibilisation, mais le Covid nous a empêchés de rencontrer les athlètes en personne, comme nous l’avions fait lors des Jeux Olympiques de la Jeunesse d’hiver en 2020. A Tokyo, cet accompagnement se faisait en ligne. Un QR code permettait d’en savoir plus et d’accéder au programme Athlete 365. Il y avait également une ligne d’assistance téléphonique 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, pendant les Jeux et les trois mois suivants. Ces outils, que nous sommes en train d’évaluer, seront également mis en place à Beijing. Nous sommes impatients de pouvoir organiser ce programme en présentiel de nouveau, car il y a beaucoup plus à gagner à parler des problèmes en tête-à-tête plutôt que d’attendre d’un athlète occupé qu’il décroche le téléphone.

Ce thème concerne-t-il les sportifs amateurs ?

Absolument. Les personnes qui pratiquent en loisir ont aussi leurs propres problèmes et préoccupations mentales. Mais le sport doit être vu comme une chose positive, car il peut en fait être protecteur pour la santé mentale. Pour beaucoup, c’est une planche de salut, un endroit où aller pour trouver la paix, retrouver ses coéquipiers, de la camaraderie et du soutien. Nous savons que pour les personnes déprimées, l’activité physique est en fait meilleure que la passivité. Ce n’est qu’à un niveau plus élevé que ces problèmes peuvent se produire. Au niveau loisir, nous pouvons nous assurer que les équipes ont mis en place une politique contre le harcèlement et les abus, qu’il existe un environnement sûr où les sportifs peuvent parler de leurs problèmes de santé mentale s’ils le souhaitent, où il n’y a pas de stigmatisation.

Propos recueillis par Aurore Teodoro 

Publié le 31 Mar. 10:29