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Les chefs de tapis : reportage au sein de l’ASM Lutte gréco-romaine

Relancée en 2018, la section lutte gréco-romaine de l’AS Monaco, malgré deux années compliquées dûes à la pandémie, rassemble des dizaines de licenciés chaque soir à l’Espace Saint-Antoine.

« Vous verrez, ils s’entraînent dans un espace exigu. C’est impressionnant de voir autant de lutteurs réunis à l’intérieur. » Le décor est planté avant même d’atteindre le lieu de rendez-vous, un vendredi soir de fin février. Au cœur des discussions, cette salle étriquée, perdue au quatrième étage de l’Espace Saint-Antoine. En sortant de l’ascenseur, un défilé de portes grises fermées. Impossible, cependant, de manquer celle que nous cherchons. Pour deux raisons. La première : des cris festifs se font entendre à l’autre bout du couloir. La seconde : une myriade de chaussures le long du mur nous guident façon Petit Poucet.

La surprise est immense en pénétrant dans la pièce : une dizaine de garçons, de 7 à 20 ans, courent après un petit ballon, enjambant ceux qui se désintéressent de la partie de football en cours. Au milieu de cette salle confidentielle, un énorme tapis jaune et rouge recouvre 85% de l’espace… et c’est tout. Un équipement sommaire qui comble les lutteurs de la Principauté, freinés pendant deux ans par la pandémie.

« Bienvenue chez nous », lance dans notre direction l’entraîneur en chef, Grigorii Buliga. Le champion du monde vétérans 2013 (58 kg) fait les présentations avec son frère, Petru, entraîneur adjoint, lui-même détenteur du titre national vétéran 50 ans, dont le fils David est également devenu vice-champion de France U15 en 2019. Une discussion s’amorce sur le sujet que nous préparons, rapidement interrompue par les piaillements d’athlètes surexcités. Grigorii Buliga hausse soudainement la voix pour demander le silence. On entendrait presque les mouches voler. « Assurez un bon accueil aux journalistes qui vont assister à notre entraînement. Nous leur proposerons des combats après un bon échauffement dirigé par Mathis. »

Un club à la relance

Avec les retardataires – qui effectuent au préalable 20 pompes -, ce sont finalement 30 lutteurs qui courent en symbiose autour du tapis, les adolescents incluant progressivement les plus jeunes dans la ronde. « Les grands viennent me prêter main forte deux à trois fois par mois. Ils s’occupent des cadets, les aident à nouer leurs lacets, leur servent d’exemples, aussi », précise l’entraîneur.

Cet esprit convivial, c’est ce que recherchait en priorité Robert Ghenassia au moment de prendre le relais de Guy Vaglio à la tête de la section lutte de l’AS Monaco en 2018. « J’ai été très bien accueilli par les entraîneurs et les dirigeants, des personnes passionnées et chaleureuses qui m’ont donné envie de m’investir et de participer à la relance de ce sport », nous explique-t-il.

Le terme « relance » n’est pas placé au hasard. La section existe depuis 2006 et a connu plusieurs moments forts comme la participation aux championnats du monde 2015 à Las Vegas. Mais elle était une belle endormie lorsqu’un ambitieux projet axé sur la jeunesse s’est présenté. Un nouvel élan salvateur, en témoigne l’organisation du tournoi final de la Ligue européenne minimes au gymnase du collège Charles-III en octobre 2019.

Trois années plus tard, la salle ne désemplit pas chaque soir de la semaine. A ce jour, le club recense plus de 65 licenciés, dont des adultes qui s’entraînent le samedi matin. « Nous n’avons pas vraiment besoin d’argumenter pour convaincre un enfant de se diriger vers notre sport, assure Robert Ghenassia. Généralement, ils viennent par goût ou sont poussés par leur père. En pratiquant la lutte, ils se défoulent et apprennent à canaliser leur énergie. Mais nous prenons le soin de leur rappeler que la lutte gréco-romaine, comme son nom l’indique, est l’un des sports les plus anciens de l’histoire, doté d’un grand prestige dans l’Antiquité, et que cette discipline ne fait pas seulement appel à la force. »

Instaurer le respect

Souplesse, agilité et maîtrise de soi sont autant de qualités requises pour devenir le chef du tapis. Les plus grands lutteurs du monde viennent transmettre le message à Monaco. Le dernier en date, c’était Victor Ciobanu, un Moldave de 29 ans tout juste auréolé d’un titre de champion du monde. « Il nous a fait la gentillesse de venir à Noël remettre des récompenses à nos jeunes, ce qui a constitué auprès de ces derniers une promotion exceptionnelle », retrace le président de la section.

Retour à l’entraînement. L’échauffement touche à sa fin. Une attention particulière a été portée au cou, une zone du corps très sollicitée et qui nécessite une certaine préparation avant de se lancer dans une série de combats. Un homme, tee-shirt d’un blanc nitescent et jeans bleu foncé, observe la scène. Lutteur de « très bon niveau » d’après les dires de Robert Ghenassia – qui ne tarit pas d’éloges à son sujet -, Konstantin Sintsov est le vice-président du club.

« Ce monsieur, qui a remplacé notre très regretté Joseph Zorgnotti au Comité directeur, a permis à notre section de prospérer. Il a mis sa générosité et son esprit sportif au profit de notre section, avec toujours à l’esprit la formation des jeunes, l’amour du sport et le respect de la personne », renchérit le président. « Je prends beaucoup de plaisir à aider et à inculquer la culture de la lutte aux enfants, réagit le cinquantenaire russe. Le résultat parle pour nous : les parents nous sollicitent sans cesse par WhatsApp pour connaître les heures d’entraînement, les petits sont heureux d’être là… »

Sur le tapis, un roulement se met en place. Les adolescents cèdent leur place aux plus jeunes. On lit sur leur visage la concentration et l’envie de bien faire. Les combats sont âprement disputés et quelques tensions apparaissent. Elles sont vite apaisées par Grigorii Buliga : « Il est très important d’instaurer le respect entre chaque membre. La lutte est une discipline de combat, certains gestes peuvent faire mal ou ne pas être appréciés, mais les athlètes doivent finir par se serrer la main, s’embrasser et se demander pardon. L’esprit du club, c’est réussir ensemble. »

Enseignements de vie

« Ce n’est pas un sport comme les autres, juge Mathis, licencié depuis « trois, quatre ans ». C’est l’un des plus complets, on apprend même des figures de gymnastique. Il faut un esprit de guerrier pour pratiquer, mais aussi beaucoup de fraternité. Dans cette salle, nous formons une grande famille. » Pour Konstantin Sintsov, la lutte délivre des enseignements qui dépassent très largement les tapis : « Chaque personne doit se donner un grand objectif à atteindre dans sa vie. Un sportif voudra devenir champion du monde, d’Europe, de France… Nous avons cet objectif pour nos enfants, on s’entraîne avec eux, on les fait participer à différents championnats. Mais nous leur inculquons aussi le message suivant : vouloir réussir est très important. »

Le vice-président est réclamé par les athlètes pour « une photo de famille ». Les lutteurs et leurs entraîneurs prennent place au milieu du tapis. « On en fait une sérieusement, et une autre en mode combat », plaisante Grigorii Buliga. Inutile de préciser que la consigne est respectée.

« La lutte est une immense famille, généreuse, tolérante, respectueuse. J’ai découvert un autre engagement dans le sport, clame Robert Ghenassia. Ici, nous formons des sportifs pour un avenir que l’on souhaite évidemment radieux. Nous avons l’espoir de les voir représenter notre club rapidement aux nombreuses compétitions régionales et nationales. »

Jérémie BERNIGOLE-STROH

Publié le 25 Avr. 14:24