Avec notre consœur Audrey Corminboeuf de La Gazette de Monaco, on a défié une doublette de championnes en marge du Challenge Princesse Gabriella. On a sauvé l’honneur, mais ce n’était pas bien glorieux…
« Tu crois que c’est possible d’organiser une partie avec deux joueuses pour me mesurer à elles ? » Qu’avais-je donc dans la tête lorsque j’ai partagé cette idée saugrenue à Serge Turuani, président du Club Bouliste Monégasque, entre le plat et le dessert, à la veille du premier Challenge Princesse Gabriella ? C’est vrai, quoi. La pétanque et moi, ça fait deux voire trois. Ça dépend des jours.
Par chance, pour moi et surtout pour les autres, j’y joue relativement peu. Mon CV se limite à deux participations au concours annuel de Sinsat, village ariégeois de 119 âmes. Et encore, j’ai trouvé le moyen de me faire éclater dès le premier tour par le retraité arthrosé du coin et le gamin qui a décidé de sortir la partie de sa vie, devant ses parents, fiers et persuadés d’avoir le Kylian Mbappé des boules, le Lionel Messi du carreau. Ben non, c’est juste que j’suis nul. Bref, vous voyez le tableau.
Maintenant que vous avez les tenants et les aboutissants de ma relation « je t’aime, moi non plus » avec la pétanque, on peut se l’avouer : il faut être sadique pour organiser une exhibition avec des spécialistes, non ? Dix mois après ma course nocturne de 50 kilomètres à la No Finish Line, j’avais besoin de sensations fortes. « Pour me mesurer à elles », j’ai dit. Mes poils se sont hérissés. Et Serge, sans ciller, a répondu : « Ah oui, c’est une super idée ! » Je m’attendais à toutes les réactions, mais pas à celle-là. « On va te trouver ça. » Comment ça, « me » trouver ça ? J’ai commencé à avoir chaud.
Alors j’ai dégainé ma botte secrète : « Audrey jouera avec moi. » Audrey, c’est sa belle-fille. Mon acolyte. Elle est journaliste à La Gazette de Monaco. Elle était OK pour m’accompagner dans cette galère. J’ai pensé que Serge serait sympa et nous dégotterait deux joueuses occasionnelles.
Le lendemain, le vibreur de mon téléphone me tire de ma léthargie et de la torpeur d’un infâme Chelsea-West Ham. C’était Serge. « Salut, tu as rendez-vous demain, à 10 heures, avec deux championnes pour un défi. » Mon cauchemar se matérialise. J’ai l’heure et l’endroit, mais pas le plus important : qui, diable, va-t-on affronter ? Les spéculations vont bon train avec Audrey. Le président du CBM met fin au suspens : « Tes adversaires seront Laura Vierjon, championne d’Europe, et Caroline Godard, médaillée de bronze aux Mondiaux pour Monaco. » J’ai pas dormi de la nuit. Sans rire. Surtout que ma compère a prévenu ses parents, en week-end sur la Côte, et qu’ils assisteront au match qui se veut amical et que je pressens être une boucherie innommable.
Le lendemain, je montre le bout de mon nez à l’Espace Saint-Antoine à 9h50. Audrey chauffe déjà les boules sur le terrain n°35. Le drapeau de son pays, la Suisse, est disposé sur un banc. Ambiance Coupe Davis. Son compagnon Laurent est là, comme ses beaux-parents Serge et Sabine. « Alors, comment vous vous sentez ? » – « Vous voulez le discours officiel ou la vérité ? » On tente quelques tirs en attendant les championnes. « C’est trop tard pour s’entraîner. Maintenant, il faut juste prier », préconise sagement Serge. Je crois qu’il a raison.
Laura et Caroline arrivent. Elles s’étonnent du drapeau suisse et de nos maillots de l’AS Monaco floqués à nos noms, et déballent leurs outils de travail. On s’étonne de ne pas les voir se préparer. « Ce sera compliqué dans tous les cas, on sort du lit… », rassure Caroline. Avec Audrey, on se regarde dans les yeux. Et puis c’est vrai, quoi, qu’est-ce qui pourrait nous arriver de mal ? Fin de la première mène : 6-0 pour elles.
« L’avantage, c’est que le supplice va durer trois mènes », plaisante Serge. Même nous, la tête dans le sac, on ne donne pas cher de notre peau. Audrey s’applique, mais devant ces professionnelles impeccables et implacables, on donne l’impression de jouer comme à l’heure de l’apéritif. Vous savez, lorsque les cigales jouent des cymbales et qu’on ne pioche plus timidement dans le paquet de cacahuètes. « Alors, tu tires ou tu pointes ? » A vrai dire, aucune idée. Je vais déjà lancer la boule et prier pour que sa trajectoire ne déclenche pas une crise de rire générale. Nerveux, le rire, hein.
La pétanque est un sport sérieux, même lorsqu’on joue pour s’amuser. Laura et Caroline se déplacent avant chaque tir, inspectent le terrain, conversent, ajustent leurs pieds dans le cerceau. Bref, elles savent jouer. Nous, on voit bien les dégâts qu’on cause. On va pas tarder à se faire engueuler par Serge pour avoir cratérisé le boulodrome. « Lève plus ta boule ou lance moins fort pour coller au but », me conseille-t-il.
Alors, avec Audrey, on se met d’accord pour arrêter (d’essayer) de tirer. Et là, croyez-le ou non, on a fait le dos rond. On les a gênées. 6-4, 8-4, 8-5. Puis on a repris un éclat. 10-5. Alors, j’ai joué au journaliste. J’ai posé des questions, innocemment, pour les déconcentrer. Seul moyen de survivre.
Laura, tireuse depuis ses 10 ans, distille avec bienveillance des conseils et manque sa cible. 10-8. Elle se reconcentre. 12-8. Au bord du gouffre. On ne survivra pas à la huitième mène. On a sauvé l’honneur, c’est déjà ça. « C’était une jolie partie », dit poliment Laura avant de s’éclipser. On les aura au moins amusées le temps d’une partie.
Caroline est plus loquace : « Prenez un peu plus le temps pour jouer vos boules. Sortez du cercle, cherchez pourquoi votre lancer n’a pas été bon. Et jouez plus loin aussi. C’était bien, sinon. Audrey a bien pointé. » Et moi ? Rien. Nada. Que tchi. Res, comme on dit en Ariège. A la façon d’un sportif en zone mixte, je dédramatise : « Je prends les parties les unes après les autres. » Le regard porté sur le concours annuel de Sinsat et son deuxième tour.