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« Ils font de nous de meilleurs joueurs » : reportage à la pépinière de l’AS Monaco Rugby

Début mars, Code Sport Monaco a suivi un entraînement de l’équipe U10 de l’AS Monaco Rugby. Une immersion de deux heures entre ateliers défensifs, pompes… et parachutes.

Des plots multicolores jonchent le terrain du Stade Prince Héréditaire Jacques. Ici, des cerceaux. Là, une échelle de rythme. L’entraînement débute dans une dizaine de minutes, mais le décor est déjà planté.

Cette séance, Ahmad Al Masri la prépare depuis le week-end. Son équipe, composée de joueurs âgés de neuf à dix ans, s’est déplacée à Grimaud. Engagés dans un plateau, les jeunes pousses monégasques ont ramené une victoire et une défaite du Var.

Un bilan honorable, mais leur entraîneur a peu goûté à la fébrilité défensive affichée dans ses rangs. « J’ai perçu un manque de communication flagrant qui a limité notre efficacité à l’arrière, analyse-t-il calmement, en disposant les équipements sur le terrain. On dit toujours que la défense est la meilleure attaque. Samedi, nos montées en ligne étaient désorganisées. Alors, aujourd’hui, nous allons travailler ce secteur, l’esprit d’équipe et les plaquages. »

On fait remarquer que le timing de notre immersion n’est peut-être pas idéal. « Au contraire, vous allez voir comment se corrigent les erreurs », répond-il du tac au tac. Cela tombe bien, les premiers enfants arrivent.

C’est le rituel du mercredi : trois heures d’école le matin – qui se résument à guetter l’horloge -, un déjeuner vite englouti et une préparation quasi religieuse du sac d’entraînement. « J’ai commencé le rugby il y a sept mois pour être avec mes amis, glisse Léo, maillot de l’équipe de France sur le dos. Antoine Dupont est l’un de mes joueurs préférés. C’est lui qui m’a donné envie de commencer. »

Les bons résultats des Bleus ont créé des vocations. Les tuniques frappées du Coq pullulent sur le terrain beausoleillois. Dylan, casque noir vissé sur la tête et protège-dents vert, dénote : « Je suis Irlandais, je supporte l’équipe de mon pays. D’ailleurs, j’attends avec impatience le prochain match face à l’Angleterre ! »

Des pompes en punition

La voix puissante d’Ahmad Al Masri sonne le glas de la récréation et annonce le programme : « Les gars, ce que j’ai vu samedi ne m’a pas plu. Il n’y a rien de grave, nous sommes encore en période d’apprentissage. Comme vous pouvez le constater, j’ai organisé des exercices pour remédier au problème défensif. C’est parti ! »

Dans le discours et l’attitude, le Libanais aux origines palestiniennes et égyptiennes se place à des années lumières de ses homologues gueulards. Les méthodes militaires pour faire appliquer sa vision du rugby ? Très peu pour lui. Ahmad Al Masri fait partie de cette nouvelle vague d’entraîneurs qui s’instruisent, se remettent en question et avancent.

Chaque année, d’ailleurs, il se rend en Allemagne dans un salon proposant des outils innovants du monde du sport. C’est ainsi que l’on découvre les parachutes de résistance usités pour développer la puissance musculaire. Toujours à la pointe de la technologie, le globe-trotter dépasse le cadre du coaching pur. « D’ailleurs, je ne me définis pas comme un entraîneur. Je suis éducateur. Et il faut faire preuve d’autorité lorsqu’on transmet les valeurs du rugby », recentre-t-il en observant la vingtaine de joueurs à l’échauffement.

Moment choisi par deux d’entre eux pour se faire remarquer. L’écart est immédiatement sanctionné de dix pompes. Ahmad Al Masri reprend : « Je cadre d’une façon sportive. Il faut être strict tout en conservant le plaisir. Vous ne me verrez jamais renvoyer un enfant de l’entraînement pour le punir. Ce serait contre-productif. Il comprend mieux son erreur en effectuant des pompes ou des courses. » Des préceptes hérités de ses expériences à l’étranger, entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Des échanges pour progresser

Dans ces pays, il a également appris à délivrer des messages « d’une façon indirecte ». L’éducateur s’explique : « La catégorie U10 est celle de la bascule, on passe de l’amusement à la recherche progressive de performances. Pour ne pas que la transition soit trop brutale, on conserve un esprit ludique. Les enfants apprennent plus vite lorsqu’on met en place des jeux et des challenges. »

De l’animation, pour la faire courte. Ses ateliers n’en manquent pas. Une nécessité à cet âge. Quatre joueurs prennent place dans un rectangle, deux autres à chaque angle défini par une couleur. Des confrontations s’amorcent entre attaquants – ceux à l’intérieur – et les défenseurs. Ces derniers sont testés sur la communication et la coordination.

Ahmad Al Masri est pointilleux. Il intervient régulièrement, arrête la séance pour replacer ses joueurs, montre des alternatives de passe ou de mouvement. Et ce, sans jamais hausser le ton. Les enfants s’assoient, attentifs. Les questions fusent.

On assiste à un cours. Et même à une démonstration lorsqu’il désigne Léo pour une mise en situation : « Je suis le défenseur. Quel est le problème si je laisse Léo prendre de la vitesse et que je reste planté sur mes appuis ? Il va gagner en puissance et possédera donc un avantage sur moi. Qu’est-ce que je devrais faire ? » « Avancer ! » hurle l’un des joueurs. « On ne parle pas sans lever la main, il y a d’autres joueurs autour de toi », rétorque l’éducateur, avant de valider la réponse : « C’est la notion la plus importante. Si vous prenez cinq mètres d’avance, vous contrez l’attaquant. Courez vers lui, et vous verrez qu’il aura moins de facilités à vous franchir. »

Effusions de joie

Des échanges ô combien importants : « Je vois s’ils ont assimilé le message caché derrière l’atelier, ou s’ils ont simplement profité et joué. Il est impératif de les faire participer. » Valerio valide la méthode : « C’est super quand l’entraîneur nous pose des questions. Il nous aide à comprendre le jeu et fait de nous de meilleurs joueurs. »

La séance du jour a été fructueuse. Ahmad Al Masri se montre satisfait du visage affiché par ses protégés durant un peu moins de deux heures. La récompense sera à la hauteur de leur investissement. « On va constituer deux équipes et lancer un match pour la dernière demi-heure, chuchote-t-il pour ne pas déclencher trop tôt des effusions de joie. C’est le meilleur moment de l’entraînement. Quand je dis ‘match’, les visages s’éclairent. Ils sont là pour jouer, donc on essaie de leur faire ce plaisir après une bonne séance. »

L’éducateur a vu juste : les cris de satisfaction et les courses effrénées succèdent à son annonce. Mais avant de s’imaginer en « Antoine Dupont » ou « Jonah Lomu », les jeunes pousses doivent débarrasser les équipements qui parsèment leur espace de travail. Plaisir et discipline, le duo gagnant de la pépinière de l’ovalie.

Jérémie BERNIGOLE-STROH

Publié le 15 Avr. 09:33