Combat
Retour
Georges Saint-Pierre aux Sportel Awards.Georges Saint-Pierre aux Sportel Awards.

Combat

Georges Saint-Pierre : « Plus j’avais peur, meilleur j’étais »

Double champion du monde de l’Ultimate Fighting Championship et président du jury des Sportel Awards, Georges Saint-Pierre se souvient du stress monstrueux qui s’emparait de lui la veille d’un combat.

Son accent québécois n’est pas passé inaperçu au Grimaldi Forum. Georges Saint-Pierre, l’une des légendes de l’Ultimate Fighting Championship (UFC) était le président du jury des Sportel Awards, fin octobre. Retraité depuis 2017 après treize années passées dans les octogones, il affiche vingt-six victoires pour deux défaites et deux titres de champion du monde de l’UFC dans deux catégories (poids welters, poids moyens).

Paradoxe : GSP, comme on le surnomme, n’a jamais aimé se battre. Il en était même malade de devoir le faire dans une cage. Mais c’était le prix à payer pour que ce passionné de paléontologie, harcelé et frappé à l’école, sujet à une dépression durant sa carrière, acquière une liberté qui le rend désormais heureux.

Vous avez été l’une des premières légendes d’une association encore balbutiante, l’UFC. Quel regard portez-vous sur l’évolution de cette industrie devenue empire ?

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de pouvoir dire que le Mixed Martial Art (MMA) est un sport pleinement accepté dans le monde. La France l’a légalisé récemment (janvier 2020) et un évènement s’est déjà tenu à Paris (septembre 2022). L’UFC a pris de l’ampleur grâce aux réseaux sociaux et chiffre bien plus. C’est une bonne chose. Savoir que j’ai pu gagner ma vie grâce à ce sport me rend d’autant plus heureux. Quand je regarde les anciens, les premiers combattants de cette jeune organisation, je ne vois que de la difficulté. Ils n’ont pas eu droit aux montants que nous avons gagnés au fil des années.

Quand avez-vous réalisé que vous pouviez vivre des combats en octogone ?

Quand j’ai fait mon premier million, il y a environ quinze ans. Les négociations pour mon nouveau contrat avec l’UFC avaient été âpres car les dirigeants sont durs en affaires, mais elles en valaient la peine. Je n’avais plus rien à craindre pour mon après-carrière.

Vous souvenez-vous du titre de The Gazette à propos du premier évènement UFC au Canada en 2008 ?

Le journaliste avait écrit « Le sanctuaire du hockey est envahi par les barbares ». (Il grimace) J’ai conservé la page. Que de chemin parcouru ! Oui, mais je peux comprendre les critiques de l’époque. Notre sport n’est pas un divertissement pour tout le monde. Je me mets dans la peau de quelqu’un qui ne connaît pas le MMA : ce n’est pas habituel de voir deux mecs se battre au sol jusqu’au sang dans une cage… Mais l’acceptation du sport passe par l’éducation. Aujourd’hui, le public comprend qu’on utilise les coudes au corps-à-corps car ce sont des armes de courte portée, pas nécessairement pour faire plus mal.

La boxe anglaise était plus largement acceptée.

Cela reste un sport violent malgré la forme très limitée des affrontements. On ne peut pas se battre avec les jambes, avec les coudes, ni se projeter… Mais les gens sont habitués aux combats sur un ring. Pour apprécier le MMA, ils doivent accepter le fait qu’on mélange les disciplines.

Croyez-vous que votre enfance a conditionné votre futur ?

Totalement. J’ai commencé le karaté comme sport de self-défense car j’étais victime d’intimidation et de harcèlement à l’école. Je regardais Jean-Claude Van Damme et Karaté Kid (1984) à la télévision. Mon père était ceinture noire, mais il travaillait trop et n’avait pas le temps de me l’enseigner. Je ne me sentais pas bien à l’école ni à la maison. Le seul endroit où j’étais en paix, c’était le dojo. Le karaté me valorisait. Je m’en suis épris et j’ai collectionné les médailles.

Comment décide-t-on de se battre dans une cage ?

La mort de mon professeur de karaté m’a affecté. Quelque temps après, j’ai vu Royce Gracie remporter le premier tournoi de l’UFC en novembre 1993. Il était vêtu d’un kimono. Il m’a inspiré car il battait des adversaires plus costauds qui tentaient de l’intimider. Et lui ne pipait pas mot. Il était moins méchant, mais il les battait tous. Il faisait quelque chose que je n’étais pas en mesure de reproduire à cet âge-là. L’idée d’en faire mon métier a émergé.

Votre vie est paradoxale : vous êtes une légende du MMA, double champion du monde en welters et poids moyens, invincible pendant dix ans, mais vous détestez vous battre. Pourquoi avoir fait carrière dans ce milieu ?

J’avais des aptitudes que j’ai su exploiter pour me propulser à l’endroit où je voulais me trouver. Je voulais être libre. Je ne parle pas simplement d’une liberté financière, mais de pouvoir faire ce que je veux, avec qui je veux et quand je veux. Cette vie n’a pas de prix. On n’est jamais à 100 % libre, on a toujours des responsabilités, mais j’ai bien plus de liberté qu’un salarié qui travaille de 9 h à 17 h dans un bureau. Pour l’acquérir, j’ai dû me battre dans une cage. Cela en valait la peine, même si c’était insupportable. Qu’est-ce qui était insupportable ? La peur de ne pas savoir si j’allais être humilié, blessé ou si j’allais sortir vainqueur. Les derniers jours avant le combat étaient infernaux. Je ne dormais plus. J’avais le ventre noué.

C’était plus dur de supporter le stress que d’encaisser les coups ?

Vous n’avez pas idée ! Pourtant, j’ai conscience que le stress m’a aidé à mieux performer. La détente avant un combat était un signal d’alerte que j’ai appris à identifier. Je n’ai bien dormi qu’une seule fois. C’était la veille de mon premier affrontement avec Matt Serra. J’étais trop relâché et il m’a mis KO. Lors de la revanche, j’étais effrayé, je ne voulais pas reproduire le même scénario, qui plus est devant mes partisans à Montréal.

Effrayé à quel point ?

J’ai passé des nuits horribles ! J’ai tendance à croire que c’est un mécanisme de défense. J’élaborais mentalement plusieurs scénarios. Plus j’avais peur et me sentais au bord du précipice, plus j’étais fort et mon temps de réaction meilleur.

La première fois que vous rencontrez Matt Hughes, vous ne le regardez pas dans les yeux. Pourquoi ?

Je l’avais mis sur un piédestal trop haut. Je manquais de confiance, je n’étais pas encore prêt à supporter toute cette pression. Je n’étais pas moins bon que lui, mais j’ai perdu parce que je le respectais trop. En visionnant le combat, j’ai compris qu’il s’agissait d’un homme comme il en existe des milliards sur Terre et que je pouvais le battre.

Ce que vous avez fait trois ans plus tard.

Mes défaites m’ont rendu plus fort. Je n’ai perdu que deux de mes vingt-huit combats. Et les deux qui m’ont battu, je les ai dominés de manière très décisive lors des revanches (TKO et soumission par clé de bras pour Hughes, TKO pour Serra).

Dans un podcast, vous avez prévenu le champion des poids moyens de l’UFC Israel Adesanya que « la couronne est lourde à porter. » Qu’entendez-vous par là ?

Devenir champion est dur. Le rester, encore plus ! Les combats passent, les attentes grandissent et les critiques pleuvent. Notorious BIG le rappait très justement : quand l’argent coule à flot, la pression et les problèmes aussi. Avec les victoires, tout devient plus gros. Si on manque de vigilance, c’est la sortie de piste assurée.

Propos recueillis par Jérémie BERNIGOLE-STROH

Publié le 24 Oct. 13:36