Sacré champion d’Europe juniors avec la France en juillet, Gabriel Crassard s’est qualifié pour les Mondiaux, qu’il a disputés en Roumanie fin août. Le licencié de l’ASM a donc passé l’été à nager avant de faire sa rentrée à l’INSEP. Code Sport Monaco l’a suivi à l’entraînement dans un centre nautique Prince Albert II complètement vide.
Jeudi 24 juillet, 16 heures. La gare est noire de monde. Il faut se frayer un chemin à travers la foule épaisse, direction Fontvieille. Les vacances battent leur plein et la Principauté n’échappe pas aux hordes de touristes peu coopérants avec les travailleurs locaux. Une fois arrivé – tant bien que mal – devant le stade Louis-II, le contraste est saisissant. Le parvis de l’enceinte sportive est désert. Même constat dans la galerie piétonne. Assis sur un banc, Gabriel Crassard, les écouteurs dans les oreilles, passerait presque pour le gardien du temple. « Je suis tout seul », confirme-t-il dans un grand éclat de rire. Plongeant son téléphone dans la poche de son short, le nageur de l’ASM Natation se lève et nous ouvre les portes de son royaume, le Centre nautique Prince Albert II. Idéal, serions-nous tenté de dire en cette période caniculaire, mais en découvrant les tribunes et le bassin dépeuplés, un vertige nous prend. Le lycéen, lui, s’est habitué au silence et à la solitude. Après avoir salué son entraîneur Rémi Besson, il file aux vestiaires se changer et réapparaît quelques minutes plus tard. La piscine lui appartient. « C’est dur mentalement. Des fois, je craque un peu », confie Gabriel Crassard en ajustant son bonnet. Glissant ses lunettes sur le nez, il écoute les consignes de son coach, monte sur un plot et se jette à l’eau. C’est parti pour une séance. Une de plus, ajouterait-il certainement.
Exploit européen
Pendant que ses habituels partenaires d’entraînement se prélassent sous le soleil harassant de la Principauté, lui doit enchaîner les longueurs telle une âme solitaire. Il s’y astreint sans broncher, avale les kilomètres (15 par jour en moyenne), sort de temps en temps la tête de l’eau pour échanger avec son entraîneur avant de replonger invariablement. Pas le choix : tel est le quotidien d’un nageur qualifié pour les Mondiaux. Début juillet, Gabriel Crassard, spécialiste du crawl, a accompli quelque chose de grand avec l’équipe de France juniors. A 17 ans, il est devenu champion d’Europe avec les jeunes relayeurs tricolores du 4 x 200 m nage libre à Samorin le 5 juillet. La médaille d’or continentale est venue effacer le goût amer de l’argent glané précédemment sur le relais 4 x 100 NL. « Cette défaite de pas grand-chose contre les Italiens les a libérés, commente Rémi Besson, qui faisait partie de la délégation française envoyée en Slovaquie. En finale, les garçons ont réussi à se surpasser et ont frôlé le record du monde. » « Unique » et « indescriptible » reviennent souvent dans le récit de l’intéressé : « Je me suis donné à fond, l’équipe poussait derrière moi. Je n’avais pas fait un 200 m depuis un bail, mon chrono était un peu moins bon qu’en série où j’ai cassé la barre des 1’50 pour la première fois, mais on a réalisé quand même l’exploit. C’était énorme ! »

Recherche d’adversité
La victoire des Bleuets les a envoyés aux Mondiaux organisés du 19 au 24 août à Otopeni (Roumanie). Un long mois et demi à attendre… et à s’entraîner, seul. Avec pour unique compagnie des grappes de touristes visitant le stade Louis-II. Gabriel Crassard aurait pu décliner poliment, comme huit des douze autres Français qualifiés et une partie de la concurrence internationale, soucieux de ne pas hypothéquer la saison suivante. Ce serait mal connaître le garçon qui devait pourtant faire sa rentrée à l’INSEP à l’issue des Mondiaux. « Tu te dis qu’il faut encore charbonner alors que tout le monde est en vacances, que toi t’en auras pas tellement, c’est compliqué à gérer mentalement, mais la perspective de faire les Championnats du monde prend le dessus et te regonfle à bloc », balance-t-il sourire en coin, tout en admettant « un contre-coup » aux Championnats de France Open où il a enchaîné les épreuves (11 au total du 17 au 22 juillet à Poitiers). Et Rémi Besson de détailler le programme estival de son protégé, qui a également représenté Monaco aux Jeux des petits Etats d’Europe en Andorre (2 médailles) : « Il ira à Brest avec les autres relayeurs, puis ils partiront en stage à Font-Romeu. Ils logeront dans un gîte et devront se gérer. Cela va renforcer les liens. » Il s’interrompt pour donner les consignes : « Tu fais 4 x 100 grand chien et vitesse 0 au retour, t’essaies de pousser fort vers l’avant. » Puis il reprend : « Gabriel, je l’entraîne depuis qu’il a 12 ans. Je l’ai vu grandir, franchir tous les caps. L’ASM avait décelé des qualités chez lui. Dès ses premiers championnats de France, il a atteint les demi-finales. »
A l’école des champions
La principale qualité de Gabriel Crassard ? « Déjà, il est hyper aquatique, il transperce l’eau, il la sent bien et il arrive à se corriger d’une course à l’autre. Surtout, il est très compétiteur. Quand il est arrivé au club, je l’ai vu se mettre à côté d’un champion de France à chaque entraînement et essayer de le battre. Deux ans après, il était plus fort que lui. » Humainement, le nageur est décrit comme un « bon gamin, avec la tête sur les épaules », qui « sait où il va ». « C’est un moteur pour le groupe », insiste Rémi Besson qui, lors de la séance du jour, lui soumet un exercice original devant le faire progresser sur les départs. L’entraîneur raconte combien les moyens scientifiques mis à disposition par l’équipe de France lui ont permis « de travailler les prises d’appui, les placements de tête » et l’ont aidé à « contrôler l’hydratation, le sommeil et la récupération ». « Gabriel s’est pris au jeu, comme un professionnel », conclut-il. S’il n’a pas réalisé de nouveaux exploits avec ses camarades français aux Mondiaux (8e de la finale du 4 x 100 m NL, 12e du 4 x 200 m NL, puis 28e du 50 m NL en individuel), Gabriel Crassard a pris une dernière dose d’expérience avant de rallier l’INSEP avec quelques jours de repos dans les jambes. Un retour aux sources pour le Versaillais, qui s’entraînera dans « un groupe de grande qualité » au sein duquel figure son idole Maxime Grousset, sacré champion du monde du 50 m et du 100 m NL à Singapour cet été. « J’appréhende un peu car ça va me changer de Monaco, mais je sens que c’est la meilleure chose à faire. Je vais tenter de poursuivre ma progression là-bas. » La philosophie est claire : se confronter à plus fort que soi à l’entraînement pour surélever son niveau et gagner en confiance. Cette méthode correspond parfaitement à la mentalité du crawleur, qui a toujours su tirer parti de ses partenaires pour se dépasser, comme lors du stage avec le centre World Athletics à Antibes en janvier dernier. L’intégration à l’INSEP est donc une étape logique et cruciale dans le parcours de Gabriel Crassard. Une chose est sûre : cet été-là, il ne l’oubliera pas de sitôt.
Jérémie Bernigole






























