Philippe Clement est le nouvel entraîneur de l’AS Monaco depuis le 3 janvier dernier. Le Belge de 47 ans a accordé à Code Sport Monaco sa première interview depuis son arrivée en Principauté, dans laquelle il présente ses principes de jeu et évoque sa relation avec les joueurs.
C’est dans l’auditorium du centre de performance, alors que le jour déclinait à La Turbie, que Philippe Clement s’est présenté à nous en ce 20 janvier. Deux semaines plus tôt, dans la même pièce et face à la presse, il était intronisé entraîneur de l’AS Monaco, succédant à Niko Kovac. Depuis, le Belge de 47 ans a eu le temps de se familiariser avec son nouvel environnement et a déjà imprimé sa patte, en témoigne la large victoire de ses joueurs contre Clermont pour son baptême du feu au Stade Louis-II (4-0). Pour la première fois depuis son arrivée en Principauté, le triple champion de Belgique en titre (le premier acquis avec Genk, les deux autres avec le Club Bruges), a parlé de sa philosophie de jeu et évoqué ce qu’il attendait de ses joueurs, à savoir courage et audace. Philippe Clement a surtout insisté sur l’esprit de famille qu’il entend instaurer dans le club.
Pour votre baptême du feu au stade Louis-II, l’AS Monaco a marqué quatre buts contre Clermont. Vos principes commencent-ils à être intégrés ?
Oui, certainement. Je suis très content de ce que je vois après seulement 12 jours de collaboration, des choses que nous avons travaillées à l’entraînement. Je sens beaucoup d’implication dans le club, de l’enthousiasme. Mes principes deviennent de plus en plus clairs pour les joueurs. Mais naturellement, nous avons encore besoin de temps pour les mettre totalement en place. Habituellement, cela requiert six à huit semaines. Nous sommes un peu en avance sur ce calendrier.
Voir autant d’implication vous a surpris ?
Non car je l’observe à chaque entraînement. Avec le staff, nous proposons plusieurs séances avec le ballon, durant lesquelles nous demandons beaucoup d’intensité. Pour avoir été joueur, je sais qu’il est toujours préférable de reproduire des situations de match. Par ce biais, nous créons des automatismes sur le plan physique, tactique, technique et mental. Quel que soit le club, mes joueurs ont toujours apprécié cette approche.
Quel jugement portez-vous sur l’effectif actuel ?
C’est un effectif qui possède une belle technique. Il regorge de jeunes talents qui ont de nombreuses qualités mais aussi quelques faiblesses. Rien d’anormal à leur âge. L’engagement et la motivation qu’ils montrent à l’entraînement laissent présager de belles choses. Il est très important pour eux de jouer chaque semaine au plus haut niveau et de ne pas se satisfaire d’un bon match. Le discours que j’ai tenu dans le vestiaire après la victoire contre Clermont contenait des notions importantes à mes yeux : je veux que l’équipe fasse le maximum jusqu’au coup de sifflet final pour se procurer des occasions et inscrire des buts. Les joueurs ne doivent jamais se satisfaire d’avoir marqué trois fois s’ils ont la possibilité d’alourdir le score. Ils doivent tenter le quatrième, le cinquième…
C’est cet état d’esprit que vous recherchez en priorité ?
Oui, je veux des gagnants, des compétiteurs qui ne désirent pas seulement gagner mais donner le maximum, aller au bout de leurs efforts à chaque rencontre. De même, avoir peur de faire des erreurs sur le terrain est rédhibitoire. Les joueurs doivent avoir confiance en eux et en leurs coéquipiers. Si une équipe ne doute de rien et est audacieuse, elle devient beaucoup plus redoutable. Quand tu donnes le maximum, peu importe le résultat, tu peux te regarder dans la glace. En adoptant cette pensée, tu te surprends à atteindre un niveau que tu pensais inatteignable.
Votre transfert en Principauté a été rapidement scellé. Entraîner l’AS Monaco était une opportunité impossible à refuser ?
(Il sourit) J’ai eu des propositions à l’étranger ces trois dernières années. Je n’étais jamais convaincu à 100 %. J’avais un bon travail à Bruges, où j’ai passé 19 années de ma vie en cumulé. A Monaco, toutes les conditions étaient réunies. Le projet et l’ambition européenne du club m’ont plu, comme cette philosophie de développer des jeunes talents. Le contact avec les dirigeants, aussi. J’ai parlé avec Paul Mitchell, Oleg Petrov et James Bunce*, et j’ai vu qu’ils me connaissaient vraiment bien. Ils ne s’étaient pas arrêtés aux trois titres de champion de Belgique, ils savaient beaucoup de choses sur mon profil. Cette reconnaissance a pesé dans ma décision. Après une ascension linéaire en Belgique, vous changez de pays et d’envergure.
Peut-on dire que vous relevez votre plus grand défi ?
(Il réfléchit) Je ne sais pas. Quand j’ai accepté mon premier poste à Waasland-Beveren en 2017, tout le monde me disait que j’étais fou parce que ce club changeait d’entraîneur une à deux fois par saison. Débuter ma carrière dans un climat d’instabilité avait surpris les observateurs : « Tu es apprécié et respecté à Bruges, tu n’as pas le stress de l’entraîneur. Pourquoi partir là-bas ? » Ils avaient tous peur. Pas moi. Je suis convaincu que lorsque tu travailles bien avec les joueurs, les résultats viennent naturellement. Je savais que je ne pourrais pas être champion avec ce club, mais j’avais la conviction de pouvoir créer une belle histoire sur le long terme.
Comment est née cette appétence pour le métier d’entraîneur ?
C’est un peu bizarre. (Il sourit) Il faut savoir que je ne suis pas quelqu’un de très ambitieux. Je n’ai pas de grands rêves. J’ai alterné entre le football et les études durant mes cinq premières années professionnelles, parce que c’était la volonté de mes parents. Puis j’ai entamé ma carrière d’entraîneur en dirigeant l’équipe espoir de Bruges, sans grandes ambitions. Enfin si, j’en avais quand même un peu car je voulais améliorer ce qui se faisait à l’époque à l’Académie. Ma mission était de la professionnaliser.
Mais un an plus tard, changement de programme, vous vous retrouvez entraîneur adjoint de l’équipe professionnelle.
Georges Leekens est limogé et le club recrute un Espagnol, Juan Carlos Garrido, pour le remplacer. Les dirigeants me demandent d’être son assistant pour lui faire profiter de mon expérience du championnat. Je refuse car je suis trop attaché à mon projet avec l’Académie. Il reste alors beaucoup de travail à accomplir. Mes sentiments pour Bruges prennent finalement le dessus et j’accepte leur proposition à une seule condition.
Laquelle ?
Je devais assurer un lien avec l’Académie. Ce que j’ai fait pendant quatre ans, malgré les responsabilités croissantes. La dernière année, Michel Preud’homme était l’entraîneur principal, mais on disait que j’étais un numéro 1 bis. Je dirigeais beaucoup d’entraînements. Encore une fois, il y a une certaine linéarité dans mon parcours.
Plusieurs articles élogieux peignent le portrait d’un entraîneur moderne, pointilleux dans l’analyse de l’adversaire et influencé par la data. Comment travaillez-vous ?
Pour le savoir, vous devez passer quelques jours ici, au centre de performance ! (Il sourit) Cela représente une montagne de travail avec une multitude de personnes. Ce n’est pas quelque chose que je peux accomplir tout seul, par moi-même, mais je m’ordonne de contrôler les éléments. Joueur, je n’étais pas le plus talentueux de ma génération. Je devais étudier la moindre piste qui pouvait m’aider : ostéopathie, alimentation… J’ai gardé cette habitude. Je suis en constante recherche d’amélioration. Tous les détails sont importants. Ceci explique pourquoi je m’intéresse à tous les départements du club. En Belgique, vous aviez l’habitude de faire appel à des psychologues. C’est vrai. Les footballeurs ont aussi des soucis hors des terrains, les sources de stress sont nombreuses. Je suis ici pour les aider, pour trouver avec chaque joueur la clé qui lui permet d’être la meilleure version de lui-même.
Être présenté dans les médias comme un entraîneur « qui ne sait que gagner », est-ce plaisant ?
(Il grimace) C’est surtout dangereux ! Les journalistes vont se servir de cette formulation pour prouver le contraire. Être entraîneur est une passion. Je ne fais pas ce travail pour être dans les journaux. Ce que j’aime, c’est remporter des matches. Enfant, je jouais au basket, au ping-pong et au volley-ball pour gagner. Déjà ! Mais je ne suis pas dupe, je sais que l’échec existe et est inévitable dans la vie. Le meilleur exemple, c’est Pep Guardiola qui n’est pas champion chaque année alors qu’il réalise un immense travail. Comme je l’ai dit à mes joueurs, je ferai le maximum chaque jour pour réussir au club.
Vous inspirez-vous de Guardiola ?
Je l’apprécie beaucoup. Il essaie toujours d’être dominant, de créer des espaces grâce aux mouvements. Je suis sensible à son style de jeu. Je viens d’une famille de basketteurs, donc des mouvements et des systèmes, j’en ai toujours vus. Vous allez me dire que ce sont deux univers différents puisque le terrain est plus petit et qu’il n’y a que cinq joueurs. Mais c’est justement encore plus intéressant de transposer ces systèmes du basket au football avec onze joueurs. On en revient à la notion d’automatismes pour créer machinalement des espaces. C’est la base de ma philosophie de jeu.
Vous avez toujours réussi à faire briller les jeunes joueurs. Quel est votre secret pour tirer le meilleur d’eux ?
La route d’un jeune est semée d’obstacles. J’essaie de les anticiper et de prévenir les joueurs avant qu’ils ne trébuchent. Je prends le temps d’expliquer. Quand quelqu’un s’entraîne bien, je n’ai pas peur de lui donner sa chance. Je ne lui mets pas la pression, il ne passe pas un grand examen. Ce n’est pas parce qu’il réalise un match moyen que c’est fini pour lui.
Ce qui compte, c’est la débauche d’énergie à l’entraînement, l’envie d’apprendre ?
C’est important de voir ses joueurs se donner à fond chaque jour, ils prennent confiance de cette façon. (Il réfléchit) Je ne veux pas donner de noms de joueurs mais, à Monaco, quand tu te montres solide face à Wissam (Ben Yedder) par exemple, cela veut dire que tu es capable de reproduire la même performance en match. Les jeunes doivent faire leurs preuves à l’entraînement. Quand la qualité est évidente, je ne fais pas de différences entre un joueur de 34 ans et un autre de 18 ans. Regardez Aurélien (Tchouaméni). Il a 21 ans, mais il joue comme un ancien. Jouer régulièrement l’a fait grandir.
Que pensez-vous du centre de formation de l’AS Monaco ?
Je ne suis pas encore le mieux placé pour en parler. Je viens seulement d’arriver. En revanche, je connais vraiment bien Pascal de Maesschalck**. Nous avons travaillé ensemble pendant six ans à l’Académie de Bruges. Il possède beaucoup d’expérience. Sous sa coupe, le centre de formation brugeois a vraiment bien fonctionné. Ici, il y a beaucoup plus de talents. La France regorge de très bons joueurs. C’est un grand pays et Monaco est un grand club. Dans l’histoire de l’ASM, de nombreux joueurs sont sortis du centre de formation : Trezeguet, Henry, Petit, Thuram, Mbappé… Notre ambition est d’en promouvoir d’autres en équipe première. Beaucoup de personnes à l’Académie travaillent en ce sens.
C’est l’une de vos priorités ?
Oui. Un de mes adjoints, Damien Perrinelle, occupe un rôle très important puisqu’il fait le lien avec l’Académie. Nous devons créer une culture de la gagne avec les professionnels et les jeunes joueurs. Sans cette passerelle, ce sont deux mondes différents. Tout le monde au club doit tirer dans le même sens : le staff technique, les ‘performers’, le service médical, le service communication… Nous devons former une famille.