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Thibaut Wadowski raconte son ascension du Manaslu

Directeur de travaux à Crudeli Monaco, Thibaut Wadowski est également un alpiniste chevronné et passionné. Son dernier défi ? Le Manaslu (8 163 m), huitième plus haut sommet du monde qu’il a gravi en septembre dernier. L’un des plus dangereux, aussi. Dans un carnet de bord qu’il a tenu tout au long de son expédition, Thibaut Wadowski a immortalisé ces précieux moments. Pour Code Sport Monaco, il en délivre plusieurs passages. Frissons garantis !

Mardi 24 août : Après 20 mois de préparation, j’embarque depuis Nice pour le Népal. 19 heures de vol me séparent de Katmandou. Entre peur et culpabilité de laisser ma famille, mon esprit est torturé de remords. C’est certainement l’un des jours les plus durs de l’expédition. Ce n’est pourtant que le début d’une aventure qui devrait durer une quarantaine de jours.

Vendredi 3 septembre : Les péripéties furent nombreuses. Mon idée de pré-acclimatation dans la région de Khumbu, non loin de l’Everest, s’est envolée. A deux reprises, l’avion a été annulé à cause des mauvaises conditions météorologiques. Avec Nima Tashi, un sherpa, et ses amis, nous partons à Gorkaneshwar pour trois jours d’entraînement. Malheureusement, nous n’avons pu nous exercer que la veille du départ. La scène est désopilante. Imaginez : six alpinistes en tee-shirt, short, crampons et chaussures de sommet, profitant d’un rayon de soleil dans les jardins de l’hôtel…

Dimanche 5 septembre : Hier, à une vitesse moyenne de 15 km/h, nous avons rejoint Besisahar, une ville située à 180 kilomètres au nord-ouest de Katmandou. La dernière partie du périple s’est faite à pied, la route étant détruite. Aujourd’hui, nous avons pris la direction de Yak Karka (4 000 m). Le Dudh Khola, la rivière que nous traversons à plusieurs reprises, est d’un gris somptueux. Nous nous rapprochons du glacier. Dans quelques jours, Tashi (Sidar), Kami, Ang Nima et Nima Nuru (sherpas), Yeshi (chef de cuisine), Pasang et Phurba (aides cuisine) et moi y serons.

Lundi 6 septembre : La météo est aux abonnés absents. La tête et les jambes sont, elles, en forme. Nous avons marché un peu moins de deux heures dans un décor fantomatique vers Bimthang (3 701 m). Plus rapides que prévus, nous décidons de pousser 400 m plus haut pour notre acclimatation. Après le dîner, Tashi et Kami nous briefent sur le programme de demain : « Départ 5h30. 25 kilomètres et plus de 3 000 m de dénivelé au programme. Ne buvez pas trop avant de vous coucher pour ne pas vous réveiller cette nuit. » Mes proches me manquent, le manque d’hygiène m’inconforte. « Pas de douche, un max d’énergie », réplique Kami.

Jeudi 9 septembre : Hier, nous nous sommes installés à Samagaun, où j’ai pu prendre ma première douche depuis longtemps. Il y a même du WiFi ! Je profite du jour de repos pour me ressourcer et, surtout, faire une grosse lessive. Demain, nous devrons partir vers le camp de base du Manaslu avec le maximum d’affaires propres. La stratégie d’ascension revient dans les discussions. Elle est formulée au conditionnel. Ici, la météo est souveraine sur les décisions.

Vendredi 10 septembre : 8 heures, départ. La pression monte. Devant moi, deux sherpas transportent deux longues échelles en alu. Je suppose qu’elles nous serviront à traverser de futures crevasses. Le trajet vers le camp de base se fait sous la pluie en quatre heures. Nous voici à 4 844 m, face à un village de tentes. Nous sommes accueillis comme des membres de la famille par l’équipe de Wild Yak, dirigée par Yeshi. Mais je suis inquiet. S’il pleut ici, quel temps fait-il là-haut ?

Lundi 13 septembre : Hier, nous avons assisté à la Puja, une cérémonie au cours de laquelle des offrandes, des louanges et des prières sont offertes à une divinité pour être « acceptés » par la montagne. Pendant ces trois heures de prières, trois pages du livre sacré se sont envolées. Les deux moines ont souri : « Cela vous portera chance. » Ce matin, un soleil de plomb nous a tirés du lit. Mais cette chaleur est bien souvent suivie par une phase « de purge », c’est-à-dire que la montagne rejette la neige accumulée ces dernières semaines. La prudence est de mise, alors que nous partons pour le Camp 1. A 150 mètres de l’objectif, je me retrouve devant un passage plutôt raide. Je rentre finalement au camp de base, les yeux plein d’étoiles d’avoir marché dans les traces encore fraîches menant au Manaslu.

Jeudi 16 septembre : Je ne suis pas en forme. La veille, j’ai eu assez d’énergie pour atteindre le Camp 1. Là-haut, à 5 823 m, je me suis senti tellement privilégié face au décor enneigé. Mais ce matin, malgré une nuit plutôt agréable, je n’ai pas les jambes. Il nous faut pourtant partir en direction du Camp 2. La dégradation de la météo me sauve : décision est prise de rentrer au camp de base.

Jeudi 23 septembre : Entre le 19 et le 22, nous avons réalisé une rotation complémentaire. Tashi nous informe qu’une fenêtre météorologique le matin du 27 septembre serait envisageable pour une tentative sommet. J’espérais avoir au moins trois jours de repos avant de repartir. Mon moral en prend un coup. Il faut passer par au moins quatre camps d’altitude avant une journée complémentaire pour le sommet, soit cinq jours ! Ce qui fait que nous devrons sauter un camp et ne pas dormir sur le dernier. Je suis dans tous mes états. La stratégie est claire, mais est-elle réalisable ? En suis-je capable ?

Vendredi 24 septembre : La nuit fut chaotique. Les deux questions me trottent tout au long de la route qui mène au Camp 1. Je l’emprunte pour la troisième et, je l’espère, dernière fois. Demain, nous devrons rallier le Camp 2 pour déjeuner et repartir aussitôt pour le suivant à 6 717 m. En deux jours, cela représente 1 850 m de dénivelé.

Samedi 25 septembre : Départ à 6h30 pour la journée que je redoute le plus. Cette étape est la plus technique : nous passons de sérac (bloc de glace) en sérac, traversons les échelles pour passer au-dessus des crevasses, grimpons des murs. Finalement, je me régale. A 50 m des premières tentes du Camp 2, le cadran affiche 11h51. On l’a fait ! Je suis entamé physiquement. J’avale un lyophilisé et dors 20 minutes. Nima me fait signe. Il faut repartir. L’ascension vers le Camp 3 est interminable. Je suis fatigué, j’ai froid. Je ne sais plus ce que je fais là. Nous rattrapons deux autres sherpas qui décident de m’accompagner. Nous partageons un thé sucré local et des barres énergétiques occidentales. On en sourit ! Nous arrivons finalement à 18 heures. Il fait nuit et je me couche, exténué mais fier d’avoir bouclé cette journée.

Dimanche 26 septembre : Nous nous élançons pour le Camp 4 à 8 heures. Nous sommes dans les temps pour notre tentative de sommet. Pas de trace de mal des montagnes. Seuls un léger mal de tête et le froid glacial me font un peu souffrir, mais le mental est là. L’ascension se déroule plutôt bien, des paysages magnifiques s’offrent à nous. Nous finissons par atteindre notre objectif. Mais je m’écroule dans la tente, harassé par la fatigue. Nima m’aide à enlever mes crampons : « Repose toi, on repart dans quatre heures. » A la fin de sa phrase, je suis résigné. Je m’endors en élaborant des plans pour abandonner. A 22 heures, je me réveille en sursaut, la tente fouettée par le vent. Le départ est compromis. Nima me le confirme. J’ai mon prétexte. Et, comme par magie, le vent s’arrête une heure plus tard.

Lundi 27 septembre : C’est l’heure de rejoindre le sommet. Le silence règne dans une ambiance incroyable. En plus de me soutenir, Nima fait la trace. Vers 4 heures, je brise le silence en affirmant, sans y croire un seul instant, que je veux arrêter. La réponse négative de Nima ne se fait pas attendre. Et c’est finalement cinq heures plus tard que nous atteignons le sommet. La vue est à couper le souffle. Nous nous enlaçons. Ce que nous partageons est difficilement explicable. Je reste plus d’une heure là-haut, à penser aux miens, à ma communauté, à mes compagnons d’ascension, aux sponsors qui m’ont soutenu… Je suis tellement sur un petit nuage que je traverse en vitesse les Camps 4 et 3, mon cerveau étant bien décidé à rentrer à la maison. Je retrouve mes esprits au Camp 2. Je dois faire preuve de vigilance dans cette partie technique. Je bute sur une crevasse qui m’impressionne, la passe, avant de conclure ma descente en 11 heures. Tashi m’attend. Cela fait 31 heures que je marche ! Décidément, cette aventure fut exceptionnelle en tout point.

Pour suivre les aventures de Thibaut Wadowski, c’est par ici.

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Publié le 23 Fév. 14:10