Propulsé titulaire au sein de l’écurie monégasque ROKiT Venturi Racing après deux ans comme pilote de réserve, l’Antibois avoue ne pas avoir été emballé par la Formule E à ses débuts en 2014. Une « erreur » qu’il entend bien rectifier sur la piste, notamment à Monaco, ce samedi.
Le 4 mars dernier, après les deux premières manches de la saison de Formule E en Arabie Saoudite, Norman Nato s’était posé une trentaine de minutes pour Code Sport Monaco afin d’évoquer ses débuts comme pilote de l’écurie monégasque ROKiT Venturi Racing. Deux mois plus tard, l’Antibois de 28 ans attaque le E-Prix de Monaco dans un tout autre rôle, après une belle 5e place à Rome et de bonnes courses pas toujours récompensées par de gros points.
Est-ce que votre expérience de pilote de réserve vous a été utile pour bien attaquer la saison ?
Malgré les nombreuses heures passées dans le simulateur, le meilleur entraînement reste la piste. Je découvre encore plein de choses, surtout en condition de course. Avant Riyad, je n’avais effectué que trois jours d’essais à Valence. Il n’y avait ni la pression de marquer des points, ni celle d’établir une stratégie pour attaquer les autres pilotes. Surtout, aucun départ arrêté avec du monde autour n’était programmé. Cela faisait quatre ans que je n’en avais plus fait !
Quelles sensations procure le pilotage d’une Formule E ?
C’est complètement différent de ce que j’ai connu. Il n’y a pas beaucoup d’aéro, les pneus n’ont pas de ‘grip’ et, malgré ces données, la piste est assez serrée. Quand on active le mode « qualif » et ses 250kW, ça va très vite entre les murs. En sensations pures, c’est très plaisant. Si certains pensent que la Formule E est lente, croyez-moi, de l’intérieur, c’est impressionnant.
Que peut espérer ROKiT Venturi Racing cette saison, après avoir bouclé le dernier exercice à la 10e place des Constructeurs ?
L’écurie a prouvé d’entrée de jeu qu’elle était capable d’être performante (la veille de l’accident survenu en Arabie Saoudite, Edoardo Mortara avait terminé deuxième de la manche inaugurale, NDLR). Il ne faut pas se relâcher. On sait tous que des périodes plus compliquées arriveront et la régularité sera très importante. On devra scorer tout le temps, même des petits points. Et quand la voiture sera en position de gagner ou de signer un podium, il faudra aller chercher de gros points.
Le niveau est très élevé et…
(Il acquiesce) C’est, selon moi, l’un des championnats les plus relevés au monde. Le nombre de constructeurs sur la grille, le prestige des pilotes…
Vous le placez au même niveau que la Formule 1 ?
Sincèrement, je n’aime pas comparer les différentes catégories, il y a du niveau dans chacune d’entre elles. (Il réfléchit) Je n’ai pas couru en Formule 1 donc je ne peux pas bien en parler. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’il n’y a pas de mauvais pilotes en Formule E vu le palmarès de chacun. Personne n’amène de budget, tout le monde est payé pour rouler. C’est une bonne indication du niveau de notre championnat.
C’était un objectif de réintégrer le monde de la monoplace, quatre ans après l’avoir quitté ?
Je n’ai jamais fermé la porte à un retour en monoplace, que ce soit en Indycar ou en Formule E. J’ai dû prendre une voie différente après ma dernière saison en Formule 2 en 2017. L’année d’avant, je me suis battu pour le titre. J’ai finalement pris la 5e place mais il n’y avait pas d’opportunités en Formule 1. J’aurais pu persister et prendre le risque de passer à côté d’une belle carrière…
Et vous êtes finalement promu titulaire en Formule E l’année où la discipline est labellisée « Championnat du monde FIA »…
(Il sourit) Beaucoup de pilotes essayent de l’intégrer. Obtenir un baquet m’a pris deux ans. A chaque fois que je montais dans la voiture, je montrais ce dont j’étais capable. Lorsque j’ai reçu la proposition, j’ai sauté dessus.
Vous pouvez également suivre votre programme d’Endurance.
Je ne voulais pas choisir entre les deux. De nombreux constructeurs font leur retour en Endurance, le futur s’annonce sympa. Mon objectif est d’être au meilleur niveau dans les deux catégories.
Elles sont complémentaires ?
(Sans hésiter) Oui. Pour être dans les meilleurs, il faut rouler à la limite. Même si la technologie et le style de pilotage sont différents, des similitudes sont présentes. D’ailleurs, je ne suis pas le seul pilote de Formule E à cumuler avec un programme en Endurance ou en DTM* (Deutsche Tourenwagen Masters, le championnat allemand de voitures de tourisme, NDLR).
C’est important pour l’équilibre d’un pilote ?
Clairement, surtout dans la période actuelle. L’an dernier, je n’ai fait que trois courses d’Endurance avec Rebellion Racing. Rouler aussi peu ne m’était plus arrivé depuis mes 9 ans ! Avant Riyad, ma dernière course remontait aux 24 Heures du Mans, début septembre. Cette année, mon double programme m’offre bien plus d’opportunités. C’est primordial. Plus je roule, mieux je me sens.Vous avez pratiqué des sports collectifs.
Ç’a du sens, pour vous, de rouler en équipage ?
C’est une bonne question. (Il réfléchit) J’aime la mentalité de l’Endurance, c’est un peu moins bling-bling, tout le monde se parle, tu partages ta voiture. Si tu tombes sur des coéquipiers avec lesquels tu t’entends bien, c’est génial. L’inverse est un peu plus embêtant (Il se met à rire).
Enfant, qu’est-ce qui vous faisait rêver ?
Le rallye (son père était dans le milieu, NDLR). J’ai obtenu, par la suite, de bons résultats en karting et ai été sélectionné en équipe de France. Mon meilleur ami était Jules Bianchi et comme il était plus âgé que moi, il m’emmenait avec lui sur les courses de Formule 1. C’est donc devenu un objectif. Mais j’ai vite compris en me rapprochant des grosses catégories que l’accès à la Formule 1 était semé d’embûches. Mon but ultime était alors de faire une carrière de pilote professionnel et de me faire plaisir.
Pas même de monter sur le podium des 24 Heures du Mans ?
(Il sourit) J’ai ressenti beaucoup de fierté, bien sûr, mais aussi de la frustration de ne pas avoir participé à une édition avec plus de 300 000 spectateurs. Quand je regarde les photos, je me vois masqué et seul… Au moins, on se souviendra de l’année ! (Il éclate de rire)
A contrario, vous imaginiez-vous piloter des monoplaces électriques et développer un prototype à l’hydrogène ?
(Toujours en riant) Mais alors pas du tout ! D’ailleurs, au lancement de la Formule E, je faisais partie des sceptiques. (Il enchaîne, face à notre étonnement) Je pense qu’on a tous changé d’avis ! Il faut s’adapter aux nouveautés et je suis très content d’avoir été ouvert d’esprit. Je n’ai pas cru à la Formule E et c’était une erreur. J’ai réfléchi différemment pour l’hydrogène, je me suis impliqué dans le projet dès le début.
Comment s’est nouée l’alliance avec Mission H24 ?
Je connais une personne travaillant sur le projet. J’ai profité d’une première journée d’essais, puis je me suis rendu en Suisse pour comprendre l’objectif. Le succès de la Formule E a donné une leçon à beaucoup de monde, dont moi. J’ai appris à croire au projet, à lui laisser sa chance. Il y a quatre ans, personne ne croyait à l’hydrogène. Aujourd’hui, vu les proportions que cela prend, je me dis que j’ai fait le bon choix.
Plus proche dans le temps, vous allez renouer avec la course dans les rues de la Principauté. Vous avez connu de très bons moments ici…
Lorsque j’ai quitté la monoplace, c’était un regret de ne plus courir à Monaco. L’épreuve m’a souvent réussi. Je la remporte en karting en 2010 et en Formule Renault 3.5 en 2014 après avoir signé la pole position et le meilleur tour. Puis, en 2016, je me fais un peu voler la victoire en GP2 Series. J’étais en tête durant toute la course avant de perdre la première place de manière inattendue à quatre boucles de la fin.
Antibois et pilote de ROKiT Venturi Racing… Une bonne performance est doublement impérative cette année !
(Il sourit) Oui. La plupart de mes meilleurs amis sont de Monaco, donc je suis aussi un peu d’ici. J’ai vraiment hâte d’être au 8 mai. C’est l’échéance la plus importante de la saison de l’écurie, mais pas que. Demandez aux pilotes quelle est la course qu’il faut impérativement gagner dans une carrière, ils répondront tous « Monaco ».
*Sur les 28 pilotes ayant participé à l’édition 2019/2020, 18 d’entre eux avaient effectivement un double emploi du temps.
Jérémie Bernigole-Stroh